Je me présente, je suis étrangère : je suis née dans un autre pays, je n’ai ni d’ancêtres masculins ni féminins de la Pologne, j’ai grandi dans une famille non polonaise, dans un contexte non polonais, alors avec la Pologne j’ai des liens seulement ou même culturels. Je suis également Polonaise, parce que j’habite ici presque vingt ans, je me suis assimilée : je pense, je parle, j’écris, je fonctionne en polonais. À part le calcul, il n’y a rien ce que je préférasse faire dans ma langue maternelle. C’est ce que je sens et comment je me définis. 

Donc, je suis Polonaise de mon choix : j’ai déménagé en Pologne après avoir fini les études de langues slaves et après avoir fait durant les études deux bourses d’études. J’ai habité à Varsovie avec un sentiment d’adoration lequel est né durant ces bourses d’études. Cette adoration ne perdait pas de son intensité après le déménagement, même elle augmentait. Concernant la culture polonaise, après les études, je connaissais de façon sommaire la littérature. Le reste, je l’ai appris sur place et en direct. J’absorbait la langue, les coutumes, les traditions, les normes sociales et légales, et évidemment la révolte contre elles. Par curiosité, j’allais partout : non seulement dans des lieux vers lesquels mes intérêts et mes goûts m’attiraient, mais aussi où, à la maison (à cette époque-là, j’appelais encore mon pays d’origine « maison » ), je ne poserais pas mon pied. J’ai connu la Pologne, les Polonaises et les Polonais. Je suis devenue l’une d’eux, de vous.

 

Je suis Polonaise, mais j’ai subi une crise en rapport avec la Pologne. J’ai de la difficulté de me reconnaître dans la description ci-dessus. Je me sens mal à l’aise et embarrassée comme des fois où je regarde des photos d’il y a vingt ans et je ne peux pas croire que je m’habillais et je me coiffais de cette manière. L’assimilation constitue le plus grand projet de ma vie, mais j’ai commencé à m’en douter. 

 

Durant les derniers mois, se sont présentées de manière plus intense des circonstances incitant à une réflexion sur la polonité et son importance : la crise humanitaire en Syrie, le Défilé de l’Indépendance, dont le slogan était : « la Pologne pour les Polonais », les élections parlementaires, après lesquelles a été élu un parlement dominé par des partis politiques nationalistes dont la conséquence et la raison est une vague de la haine qui s’est déversée dans le monde réel et virtuel et l’a dominé. Le pays où je vis et où je ne me sens pas étrangère (même si je ne suis pas encore citoyenne), est devenu méconnaissable. Les personnes avec lesquelles je m’entendais facilement me semblent distants. Je trouve difficile de retrouver ce qui me fascinait et attirait autrefois, il m’est difficile de m’identifier encore avec la polonité.

 

 Je me souviens du respect que j’avais pour les personnes fêtant le jour de l’indépendance ou l’insurrection de Varsovie durant mes premières années en Pologne. Les personnes célébrant autrefois se différenciaient de celles d’aujourd’hui, il n’y avait pas de violence. Les orateurs ne me fascinaient pas, mais je considérais leurs discours en tant qu’importants. Je me rappelle que la minute de silence durant le 1er août de chaque année m’émouvait. Je pensais qu’il est impossible de ne pas penser à l’insurrection en tant que tragédie humaine. De plus, les sirènes qui résonnaient nous la rappelaient.

 

Tout a changé : les fêtes nationales polonaises (à part celle du 1er mai) ont été dépouillées par les milieux d’extrême droite ou néofascistes, ou comment vous les souhaitez appeler. La célébration de la Pologne et la polonité est devenue une occasion servant à exprimer l’intolérance et la haine. Dans les festivités commémorant le début de l’insurrection de Varsovie, les plus nombreux viennent les nationalistes : certains habillés en costumes et en cravates, d’autres endossent des habits de guerre en fonction de leur position dans la hiérarchie et selon leurs aspirations politiques. Sur leurs slogans il y a des croix celtes et des phalanges (symbole du Camp national-radical) et des mots xénophobes et racistes. Ils ne voient pas de l’absurdité dans leur présence durant l’anniversaire de l’insurrection contre les nazis. Ils célèbrent la polonité qui ne m’inclut pas, c’est une polonité élitaire, car la groupe sociale et politique qui utilise le plus souvent cette notion, limite toutefois son champ d’application : il s’avère que par exemple les personnes qui ont des opinions de la partie gauche, qui ont une orientation sexuelle autre que hétérosexuelle et qui se prononcent de manière critique envers le pays polonais ne peuvent pas être des Polonais, car ce droit appartient uniquement aux nationalistes. C’est donc dans ce contexte que les milieux de droite ont récemment questionné la polonité de la lauréate du prix Nike, Olga Tokarczuk en raison de son constatation que la polonité multiculturelle et la tolérance sont un mythe !

 

Ce n’est pas comme si le racisme n’existait pas en Pologne autrefois : l’antipathie envers la minorité rom et l’antisémitisme, depuis que je me souviens, apparaissaient dans les textes, les anecdotes, les farces. La violence physique et verbale existait également, mais elle était l’apanage des groupes sociaux limités, elle ne parvenait pas directement à moi, mais même ceci ne diminue pas son gravité. Avant, je croyais que nous marchions dans la bonne direction et que nous serons un jour une société plus ouverte et diverse. Les changements n’ont pas apparu subitement. J’ai dû longtemps démentir la réalité. Maintenant, je sens qu’un seau d’eau froide m’a réveillé de mon rêve. Je regarde avec incrédulité la popularité que les opinions d’extrême droite ont gagné :  de plus en plus de personnes sont d’accord avec ces opinions, et même si elles ne sont pas d’accord avec elles, elles les tolèrent et justifient, c’est-à-dire les approuvent dans l’internet et dans la réalité. La xénophobie est une opinion prononcée avec fierté par le Président de la République de Pologne, le racisme des politiciens et des fonctionnaires n’est plus bouleversant. Nous pouvions le témoigner le 25 octobre.

 

J’ai pris la parole en tant que Polonaise et en tant qu’étrangère, parce que je suis l’une et l’autre. Je me prononce de manière critique, car la situation le nécessite : la situation est très mauvaise. J’exprime ma douleur, car je me sens trahie, et à la fois je demande de l’aide. Si il y a encore une personne avec laquelle je m’entends bien, je demande qu’elle sorte de léthargie et cesse de tolérer cette situation. Construisons un barrage contre cette vague de la haine qui nous a tous inondé.

 

Suzi Andreis

 

[Traduction en langue française : Marta Modzelewska]