L'Afrique n'est pas une puissance économique. Mais ce n'est pas une raison pour que sa diaspora varsovienne vive dans un assoupissement culturel. Je suis conscient du fait que ce sont principalement des personnes actives qui émigrent et qu’elles sont prêtes, parfois, à faire un travail épuisant. Il faut pas mal galérer pour récolter, en demandant à ses amis et à sa famille, ces quelques centaines ou milliers d’euros pour le billet et les visas pour l'Europe. Seulement, pourquoi envisager uniquement de faire du commerce autour du Stade du 10ème anniversaire et ne pas essayer de développer, par exemple, la culture? La musique, la danse, le théâtre, les arts plastiques... rendent plus noble. Quelqu'un a-t-il une meilleure idée pour donner de soi une meilleure image? Pourquoi cachons-nous notre diversité si attractive et nous laissons-nous réduire par cette question si fréquente, et très générale: "Tu viens d'Afrique?" Bien évidemment, j'aurais préféré: "Tu viens du Mozambique, du Gabon, de Tunisie ou du Ghana...?"

Mon ami, diplômé de l'Université de Varsovie, un DJ connu, jouant dans des films polonais, a voulu "dépoussiérer" la fête de notre continent. La Journée de l'Afrique est quand même célébrée dans le monde entier, dans chaque ville qui se respecte, où vivent et travaillent les Africains: New York, Paris, Berlin, Amsterdam, Tokyo... Alors pourquoi pas au bord de la Vistule? Pourquoi pas à Varsovie?

J'habite en Pologne depuis bien plus longtemps que mon ami malien. Mon impression concernant la volonté d'agir de mes compatriotes et collègues d'autres pays africains est qu’ils sont quelque peu apathiques. Il est difficile de réunir ses compatriotes autour d'un programme culturel commun, dans le but de promouvoir l'Afrique. A vrai dire, je ne sais pas pourquoi c'est comme ça.

Mais il n'est pourtant jamais trop tard pour réveiller les bonnes intentions. J'ai voulu aussi me donner une chance à moi-même. Puisque, dans les années 80, il y a eu à Varsovie une diaspora estudiantine très active, du Mali, du Cameroun, du Nigeria, de Madagascar, d'Éthiopie, du Sénégal... A cette époque-là, on ne pouvait rencontrer pratiquement que des étudiants. Il n'y avait aucune immigration économique. Le socialisme n'était pas aussi attrayant. Tout simplement. Pourquoi les Africains étaient-ils, auparavant, capables de s'organiser et de participer activement au Festival des Étudiants Étrangers, par exemple? Presque chaque pays célébrait alors son jour d'indépendance, sans parler de la fête de tout le continent au mois de mai! Ils savaient tous, ils s'en souvenaient, que le 4 avril, par exemple, était la fête nationale du Sénégal. Pareil pour les autres pays.

Revenons à la visite de mon ami DJ à Powiśle (partie de Varsovie voisine du centre ville, au bord de la Vistule). Nous buvions du thé vert "Ataya" lorsque soudain, il nous dit que les varsoviens devaient enfin apprendre l'existence de la Journée de l'Afrique au mois de mai! Sur le coup, ma tête fourmilla de pensées. On ne peut pas avoir raison à 105 %, suffit de 100. Et DJ Sam avait raison. D'autres cultures ont fait carrière dans la capitale de la Pologne. Comme des champignons après une pluie tropicale, des écoles de danse latino-américaine sont apparues, principalement de salsa. Il y a eu de plus en plus de fêtes autour de cette musique. La musique arabe a fondé ses écoles et la danse du ventre est devenue de plus en plus populaire. Le local Shesha s’est rempli les week-ends. L'Inde a pu compter sur la popularité de ses films de Bombay. Le célèbre hit du Punjabi MC a beaucoup aidé! Tout autour, ça bouillonnait et retentissait. Et où est notre Afrique? Puisque l'on cherche l'Afrique précisément là où l'ambiance bouillonne. Où est Maman Afrique? Pourquoi ne la voit on guère à l'horizon musico-culturel?

A ce moment là, DJ Sam a eu raison. Nous avons la possibilité de présenter ne serait-ce qu'une petite fraction, un petit pourcentage de l'immense richesse de cultures, de langues, de musiques du vieux continent africain. Où sont les restaurants et les cuisines d'Afrique? Y a-t-il ne serait-ce qu'un seul club afro? Où sont les festivals de danse, de cinéma, de musique? Le Sahara! Un silence effrayant. Je me suis dit que l'ami avait mille fois raison. Euphorie! Il faut agir. Les Africains ont leurs propres cultures.

Après un instant, cependant, une légère dépression me saisit. Avec qui? Avec qui organiser, agir, proposer, sortir et inviter? Avec qui, je me demande. D'un autre côté, je ne peux pas décevoir mon interlocuteur. Avant qu'Obama ne dise à voix haute: "Yes, we can", j'ai pensé de mon côté: "Il faut se donner une chance et essayer". Nous avons décidé d'inviter tout le monde à une réunion préliminaire. De parler avec les gars et les filles. Puisque de plus en plus d'Africains arrivaient à Varsovie. La plupart se sont retrouvés coincés ici, sans pouvoir poursuivre leur voyage à l'Ouest. Beaucoup ont décidé, dans cette situation, de rester et de faire leur vie en Pologne. C'était le cas, non seulement de mes compatriotes sénégalais, mais aussi des collègues des autres pays, qui rêvaient de l'Italie, de la France ou de l'Angleterre.

Enterrer vivante la douloureuse vérité des années 90. Ces pensées se bousculent dans ma tête avant qu'on ne réunisse les volontaires dans la cour du club Harenda. Nous avons, à Varsovie, une autre génération, une autre attitude de la diaspora africaine. Il est temps de se mobiliser et d'agir. J'ai vraiment espéré qu'il y aurait du monde... Hélas. Échec.

Compter sur les nôtres ou les laisser tomber? Un dilemme en apparence. La réponse est insolemment simple. Nous faisons cette Journée de l'Afrique. Pourquoi pas avec les ambassades et avec nos afroenthousiastes polonais? Toute l'Afrique du Nord a ses représentations diplomatiques. L'Afrique Subsaharienne est représentée par le Congo, l'Afrique du Sud, l'Angola. C'est justement grâce au soutien minimal de ces trois pays que notre duo, ensemble avec Kontynent Warszawa, a pu réanimer la fête continentale du mois de mai en 2007. Et si on organisait cette rencontre, un samedi soir, dans un des clubs de Varsovie?

Il est vrai que des groupes de musique comme Goldfinger, Motema Africa, Ricky Lion, Djolof-Man agissent, qu'il existe des ateliers de danse, que déjà deux restaurants proposent des saveurs et des senteurs africaines et le magasin éthiopien éclaire un peu ce tableau... Mais tout cela n'est pas suffisant.

La plus grande communauté "du stade" [Stade du 10ème anniversaire] cessera d'exister d'un moment à l'autre. Et alors? Il est temps de s'organiser. Merde alors! Nous avons sur le continent plus de mille cultures! Il ne faut pas en avoir honte. Et toujours faire semblant d'être Afroaméricains. Les filles polonaises en savent plus qu'un peu. Combien d'Africains ont notoirement honte de leurs origines et se cachent derrière le hip-hop! Surtout ceux qui viennent de la zone anglophone. On le voit clairement dans les clubs. Je serre les pouces pour tous ceux qui créent des entreprises, des associations, des fondations pour que le continent puisse efficacement se faire une place. C'est ce que font, depuis des années, le Proche-Orient, l'Amérique du Sud ou le Vietnam. Surmonter l'inertie! Nous allons y arriver, enfin!


Texte: Mamadou Diouf
Traduction: Sadia Robein