La Géorgie… avant d'arriver en Pologne je ne connaissais rien de ce pays. Tout bon élève en Histoire-Géographie que j'étais, je ne pouvais même pas vous situer la Géorgie sur une carte du monde. Mon premier contact avec le monde Géorgien fut la rencontre en 2008 d'un groupe de chanteurs-danseurs traditionnels appelé Chveneburebi, au club Paladium à Varsovie. Je fus séduit par la profondeur des leurs chants du fond des âges, par leur ouverture et surtout par l'attention chaleureuse que j'ai reçu après le concert, et ce juste parce que je m'intéressais à leur culture. Mon deuxième contact remonte à 2010 avec l'organisation du festival Transkaukazja qui réunis des artistes de  3 pays dont les relations diplomatiques ne sont pas des plus chaleureuses; la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbejzan. Tous commence par un arrêt au stand du restaurant Tbilissi installé à Place Teatralny, et un sourire d'Eka la propriétaire et de Nino sa collaboratrice. Après une bonne soupe d'haricots rouges identique à la recette secrète de ma grand mère et quelques raviolis à la viande appelés khinkali, j'étais conquis.

Fin 2011, j'ai eu l'opportunité de visiter pour la première fois ce pays qui commençait à me faire envie. Je fus invité par la fondation Inna Przestrzen afin de réaliser un reportage sur le festival Artzona, un évènement réunissant des artistes Géorgiens et Polonais pendant quelques jours à Tbilissi la capital.
J'ai découvert un pays criant d'histoire, une nation belle et fière. Des musulmans, des juifs et des chrétiens vivant en harmonie, un vin de plus de mille ans d'âge, un vin que l'hôte offre à son invité dans une corne de boeuf. Un pays où chaque toast est un conte, raconté par un personnage plein de sagesse et d'ouverture appelé Tamada.
Je revis les premiers instants de vie de cette nation, instants affichés sur ces murs d'hantants qui criaient déjà leur passé quand le reste de l'Europe n'avait pas encore osé penser son futur. Un pays au croisement des civilisations.

Les polonais et les géorgiens se vouent une admiration mutuelle, je fus surpris d'apprendre par exemple que feu le président  Kaczynski était considéré comme un héros national et que la catastrophe de Smolensk était également perçue comme une énorme machination russe.
Le fait même que je m'exprime en Polonais est un plus, les gens m'interpellent et me demande d'où je viens, pour eux je suis une anomalie, comment peut on être noir, avoir la nationalité française et parler polonais ?
Ils m'offrent à boire sans me connaitre, ils ne semblent pas non plus rebutés par mon russe approximativement polonisé et par les quelques mots en géorgiens que je place ça et la.

Je me rappelle d'une excursion au marché des matériaux de construction où mon ami Wato Tsereteli et moi étions partis à la recherche de planches de bois.
Après avoir visité 3 stands je me suis vu obligé de refuser les invitations des géorgiens avides de rencontre exotiques fusant de toutes part car l'abus de vins, même le bon vin, est dangereux pour la santé.

Je me suis souvent demandé d'où pouvait provenir ce respect mutuel que se vouent Géorgiens et Polonais.
Après avoir lu quelques articles, fait quelques recherches, je me suis rendu compte que la Géorgie et la Pologne avaient vraiment beaucoup en commun.

Entre 1917 et 1920 par exemple les deux pays sont dans la même situation politiquement parlant.En effet, peu après l'obtention de leur indépendance respective, polonais et géorgiens doivent se battre pour préserver leur liberté si durement acquise. La Pologne gardera son indépendance jusqu'en 1939, alors que le Géorgie sera moins chanceuse car les soviétiques mettrons fin à la révolution dès 1921.

J'ai une théorie soutenant qu'il existe des pays "Carrefours", carrefours géographiques et culturels, et que dans ces pays les gens se comportent de façon similaires. De plus les pays carrefours sont sujets aux invasions et éveillent souvent la convoitise de leur puissants voisins.
Il en résulte que de la Martinique à la Géorgie en passant par la Pologne  les gens peuvent facilement se lier d'amitié si ils arrivent à communiquer. La découverte de la Géorgie avec des amis Polonais m'a beaucoup aidé à peaufiner ma théorie.

Quoi qu'il en soit, les charmes de la Géorgie ne se limitent pas au bon vin, ni à la bonne cuisine, la Pologne et la Géorgie ne sont pas que des compagnons d'infortune face à l'ogre russe.L'un des souvenirs que ma mémoire préservera à tous jamais de l'oubli, est une rencontre Polono-Géorgienne au sommet, une rencontre entre deux géants passionnés de sonorités, le mariage musical entre les violonistes du groupe polonais Volosi et le groupe du géorgien Niaz Diasamidze.Les heureux élus qui ont assistés à leur première répétition furent comme moi les témoins de la façon dont la musique peut surpasser toutes les barrières et atteindre l'universalité. Les musiciens avaient à peine fini d'accorder leurs instruments que la magie sonore à commencer à séduire nos oreilles.
Le concert se déroulait dans le cadre du festival Artzona. Dans un amphithéâtre bondé, en plein air, la collaboration Polono-Georgienne a su nous émouvoir jusqu'aux larmes, nous faire rire à en aimer la vie et danser comme jamais nos pieds ne nous l'avaient permis jusque là. Ce concert fut le clou d'un voyage plein de surprise, un voyage multiculturel au coeur d'un carrefour situé aux portes de l'orient. Un voyage au coeur d'une nation généreuse et qui donne sans compter.

Une fois de plus, ma "polonisation" m'a permis de repousser l'horizon de ma connaissance du monde et de vivre des instants d'une rare intensité. En Géorgie ne dit-on pas à juste titre "l'instant est profitable et l'avarice à rien ne sert, ce que tu donnes reste tiens et ce que tu gardes tu le perds".

Lude Reno