Qu’est-ce que la culture ? Il existe dans chaque langue et chaque édition de bons dictionnaires, plusieurs dizaines de définitions. Laquelle garder ? Peut être celle-ci, histoire de pouvoir répondre à la question : « La culture est comme l’air, présente partout mais quasi-invisible, indétectable. Tout le monde en a besoin pour vivre sans en avoir vraiment conscience. La culture, si on parle du monde de l’entreprise, du travail, du management, semble être à l’origine de pas mal de conflits, d’incompréhensions, comme le dit le psychologue Hofstede : « la culture est plus souvent source de conflit qu’une synergie. Les différences culturelles sont au mieux une nuissance, au pire un désastre. » Comment expliquer qu’un manager expérimenté dans son pays, n’arrive à ne rien faire dans sa nouvelle mission à l’autre bout du monde ? Pourquoi ne travaille-t-on pas de la même façon en Chine qu’en Belgique ?
Le monde est devenu global, un petit village, tous les mêmes, tous des frères... Une grande famille en somme. Il n’empêche que si en Inde vous touchez quelque chose de la main gauche, cela devient impure, la main gauche servant plus aux toilettes qu’à table. De même que roter à table en Chine est d’une distinction sans nom alors qu’il est synonyme d’exclusion sans ménage au prestigieux restaurant la Tour d’Argent sur les bords de la Seine à Paris. Tout cela se passe bien loin de l’Europe et de l’Union européenne, Le village européen, là encore pas de doute, tout est standardisé, unifié... sauf qu’un homme qui tend la main à une femme en Pologne est considéré comme mal poli, puisque c’est à la dame de choisir si elle veut vous serrer la main. De même, un Polonais qui commence sont plat alors que tout le monde n’est pas servi en France sera regardé de travers. La bienséance voulant que les Francais se réunissent pour cette cérémonie qu’est le repas, partagé ensemble et en même temps. Comment alors se retrouver dans cette complexité sans nom ? Comment arriver dans une mission d’encadrement à l’étranger sans mettre les pieds dans le plat, sans gaffer à en perdre le respect des subordonnés ?
Pour éviter les erreurs et optimiser les chances de réussite de leurs cadres á l’étranger, les entreprises ont recours à des formations culturelles, ou plutot interculturelles. Elles consistent à la préparation au choc culturel, à l’anticipation du contexte de travail nouveau. Comprendre pour mieux réagir. Ces formations présentent une partie théorique, sur la culture, ses mécanismes, mais également des applications plus pratiques pour la vie au travail mais aussi pour la vie de tous les jours. Elles permettent de comprendre le « groupe » avec ses héros, ses symboles, ses rites, ses valeurs. Le choc culturel, une fois maitrisé, il apparait parfois un contre-choc culturel où les personnes deviennent critiques vis à vis de leur propre culture, une fois de retour au pays. Rien n’est donc gravé dans le marbre at vitam eternam, tout s’apprend, c’est juste une question de temps.
Rencontre avec Radosław Walentynowicz, formateur interculturel via sa société Interpoint. Il conduit des formations pour cadres à l’international depuis 2004, il a lui-même subit plusieurs chocs culturels en France et en Hollande. Explications.
Peux-tu nous expliquer ton métier?
Je travaille comme formateur interculturel. Je conseille les personnes qui ont besoin de s’ajuster à une nouvelle culture. Pour cela, je propose des formations individuelles ou en petit groupe, allant d’une journée jusqu’à plusieurs semaines. Je prépare généralement des cadres d’entreprises avant leur départ vers une mission à l’étranger où ils seront confrontés à une nouvelle culture, aussi bien au travail que dans la vie quotidienne.
Comment devient-on formateur interculturel?
Ce n’est pas si évident. On ne devient pas formateur interculturel seulement en finissant une université spécialisée. Il faut s’imprégner de nombreux processus pour comprendre les clefs du sujet et pouvoir ensuite être capable des les partager avec les auditeurs. Avant d’être certifié « formateur officiel » par l’agence inter-culturelle, il faut passer par tout un tas d’autres formations et d’expériences.
Quelles sont les nationalités de vos clients ou auditeurs?
Je travaille avec des Allemands, des Polonais, des Américains, des Français, des Russes, des Hollandais, des Anglais. Je les prépare à leur venue en Pologne ou, si ils sont Polonais, à leur départ dans un des pays des nationalités nommées ci-dessus. Les possibilités et les combinaisons de nationalités de pays peuvent variées, je peux conseiller un Russe pour son voyage en France où j’ai passé quelques temps, de même qu’un Américain avant sa mission en Hollande où j’ai etudié et reçu mon premier choc culturel.
Comment garder une distance nécessaire par rapport à sa propore culture?
Il faut rester professionnel, la formation inter-culturelle est constituée de deux volets, une première partie générique, disons théorique, puis, elle est suivie d’une partie spécifique ou aussi pratique, concernant la nouvelle culture. Généralement la formation se fait en duo, avec l’aide d’un spécialiste du pays, souvent un natif, qui est capable de répondre à n’importe quelle questions spécifiques.
Quelles sont les caractéristiques des Polonais ? des Français ?
“Ouh la la” (rires), c’est une question courte mais une réponse difficle à formuler. Les deux cultures ont l’air de se ressembler, mais les détails peuvent transformer le dialogue entre ses deux cultures et le rendre difficile. Si l’on parle juste de stéréotypes, on considère finalement presque rien d’une autre culture, seulement les incidents critiques et les zones sensibles. Pour revenir à la question et essayer d’y répondre cela pourrait être en deux phrases : Les Polonais sont une nation extrêmement fière qui ne travaille pas sans retard et ne préfère pas suivre les règles établies. Les explications et les justifications nécéssiteraient encore deux heures de conversation. Les Français viennent d’une nation conservatrice, qui croit toujours en sa « super-nationalité », son empire. Une nation qui est plus tournée vers le passé que l’avenir. Il est très difficile de décrire la culture en deux phrases. On ne fait que généraliser et ce n’est pas une façon de parler à propos des différences culturelles.
Comment réussir son séjour en Pologne ? as-tu des conseils de base à donner ?
Je pense qu’il est important de comprendre la base de la culture, les impacts historiques qui influencent le comportement des Polonais. En comprenant cela, on est capable de prévoir beaucoup de réactions et de les interpréter correctement.
Pourquoi de telles formations sont nécessaires entre des cultures si proches, comme pour un Français en Pologne par exemple ?
En étant en contact avec une nouvelle culture, on continue à voir les gens non pas comme ils sont vraiment mais on les perçoit avec nos critères, ainsi comme nous sommes. C’est souvent un critère d’incompréhension. Sans explications, sans comprendre comment une autre culture fonctionne et influence chacun, on ne peut s’adapter rapidement. Une mauvaise adaptation peut avoir des conséquences psychologiques plus ou moins graves, le mal du pays se développe avec de possibles troubles du sommeil ou la perte de motivation au travail.
Avec les principes que tu développes, penses-tu pouvoir t’intégrer dans n’importe quelle culture ?
C’est difficile à dire, je sais juste que mon récent voyage aux Etats-Unis m’a confronté au pays le plus multi-culturel au monde, je me sentais comme un poisson dans l’eau.
Les quatre dimensions de la culture selon Geert Hofstede.
Entre 1967 et 1973, le psychologue hollandais, Geert Hoftstede a mené pour la société IBM une grande enquête visant à créer un modèle de management unique dans toutes les filliales de l’entreprise américaine du monde. Si ce modèle n’a pu voir le jour, il resort des centaines de milliers de questionnaires effectués dans une cinquantaine de pays, l’une des études les plus compréhensive sur les relations entre culture et travail. Hofstede a retenu quatre dimensions qui structurent la compréhension de la culture au travail selon les pays.
La distance hiérarchique : c’est le dégré d’égalité ou d’inégalité entre les personnes d’une société. Il peut se caractériser par exemple par le nombre d’échelons dans une entreprise entre la base et le sommet. Une distance hiérarchique forte est caractérisée par un système de castes par exemple, où la mobilité est nulle au sein de la société et les inégalités fortes. Une faible distance hiérarchique place chacun sur la même ligne, formant une sorte de communauté. On ne parle par exemple pas de la même façon au Directeur Général en Suède (Indice faible) qu’en Inde ou en Malaisie (Indice fort).
L’individualisme et l’esprit communautaire : Cet indice se concentre sur les rôles respectifs de l’individu et du groupe dans une société. Une fort indice indique que les droits individuels sont primordiaux, un faible indice met l’accent sur l’importance de l’intéret général de la communauté, de la famille, du collectif.
La masculinité ou la féminité : C’est le dégré de l’influence ou non, du rôle du modèle traditionnel masculin de travail, de controle et de pouvoir. Un fort indice se caractérise par une forte discrimination au travail entre hommes et femmes. Un indice faible par contre indique une différenciation plus grande des sexes au sein de l’entreprise, de même qu’un traitement égale à tout niveau de la société.
Le controle de l’incertitude: c’est le niveau de tolérance par rapport aux ambiguités, aux situations non planifiées dans la société. Le contrôle faible suppose davantage d'acceptation des situations comme ambiguës, réversibles dans leurs malheurs et leurs bonheurs. Le contrôle fort veut s'appuyer sur des bases assurées qui peuvent aller de précautions concrètes à des précautions juridiques voire religieuses.
David Sauvignon