C'est un mot tabou, un tabou connu de tous. Un mot qui ponctue les phrases des uns comme une virgule ou un trait d'union. Un mot que d'autres gardent jalousement, le réservant pour une occasion spéciale, comme après une chute douloureuse ou pour la conduite maladroite d'un chauffard trop pressé. Un mot que les grand-mères et les personnes de bonne famille considèrent comme la pire des ignominies. Ce mot, qui à l'origine est dérivé du nom Italien "Curva" qui désigne une courbe, est utilisé en Polonais pour illustrer une femme qui s'écarte du droit chemin, qui s'éloigne de la vertu en donnant du plaisir aux hommes en détresse, aux hommes en pause déjeuner ou en voyage d'affaire. Au royaume des injures, le "K" est roi, il règne sans partage sur ses sujets à la cour des gros mots. Il est mentionné partout, entre les murs vétustes du quartier de Praga, dans les quartiers huppés de Zoliborz, de Trojemiasto à Zakopane ou encore de Londres à Chicago.

Loin de moi l'intention de froisser les âmes sensibles et les défenseurs de la morale. C'est pour cette raison que dans cette article, notre fameux mot sera remplacé le plupart du temps par la lettre "K" ou par "urwa" (pour des besoins de prononciation). D'ou cette fascination pour le "K" ?

Surement à cause son caractère exotique, car à mes oreilles Francophones le "K" sonne comme un mot fascinant.
Une mélodie bien particulière, un caractère propre, une force incroyable. A côté du "K" polonais, son homologue français, le mot "putain", fait office de pâle figure, de repas froid aux saveurs fades. Le "K" est franc et sans équivoque alors que le mot "putain" est fourbe et hypocrite. Tel un loup voulant se faire incognito dans une bergerie, s'il est suavement prononcé par une jolie voix, "putain" aurait sa place dans un poème d'amour. Pour moi, le "K", de par sa prononciation, exprime principalement des émotions fortes oscillant entre colère et surprise, joie et extase. Il n'est pas rares que des amis français de passage à Varsovie ne serait-ce que pendant quelques jours, adoptent définitivement le "K". Tous sont unanimes et affirment que le "K" devrait être intégré aux langues universelles comme l'Esperanto.

D'un point de vue linguistique, la lettre K a une sonorité spécifique car on la retrouve dans pratiquement tous les alphabets du globe. Etant facile à prononcer, elle marque plus facilement les esprits. Serait-ce, entre autre, l'une des raisons du succès de la marque KODAK.

Selon la façon dont il est énoncé, le "K" donne une information précise sur l'humeur de celui qui le prononce. Si je comprends bien, quand le "K" est long et précédé d'un "O", il traduit souvent la surprise (dans le sens positif du terme). n.p :
"O... uuuurwa" !!!
Nie wierze, Tomek to ty ?
Par contre quand il est accompagné par un "Co jest", par un "Co to jest", ou par un "O…..nie", le "K" exprime souvent une mauvaise suprise négative ou l'exaspération. n.p :
"Co to ..urwa jest ?" "Co jest ..urwa ? Zostaw mnie….." " O ..urwa nie ? Zapomnialem klucze do mieszkania w hotelu w Meksyku"
Il est vrai qu'énumérer les différentes utilisations du mot "K" serait fastidieux et inutile. Par conséquent, le plus important est donc de retenir que le "K" est au Polonais ce que les épices sont à la cuisine, il peut relever le langage comme il le peut rendre totalement indigeste.

Le "K" n'est pas seulement un gros mot ou un mot avec une sonorité que l'on retient facilement , il arrive aussi que son utilisation débloque des situations des plus compliquées. Je ne parle pas seulement de la scène culte du film tout aussi culte SEKSMISJA. Où le héros, dans un moment de dépit, pousse un "K" de toute taille, qui s'avère être le mot de passe qui ouvre les portes de leur prison, leur donnant ainsi accès à la liberté.

Le "K" peut s'avérer salvateur dans les situations de la vie quotidienne et voici une histoire qui illustre bien cette affirmation. Une histoire vraie.

L'Aéroport Novembre 2004, Aéroport d'Etiuda à Varsovie. Je dois prendre un avion pour Amsterdam, le décollage est prévu pour 12:45. Il est 12: 15 et l'enregistrement est terminé au moment où j'entre dans l'Aéroport. Je n'habitait en Pologne que depuis quelques mois donc à l'époque ma maitrise de la langue laissait vraiment à désirer. Je me dirige vers le comptoir, là, une jeune hôtesse me demande, avec un sourire jauni par l'embarras, de m'adresser à son collègue qui parle bien mieux anglais. Le collègue en question a une trentaine d'années, mais malgré sa bedaine de bon vivant, il paraît froid et insensible. Quand je lui demande si je peux embarquer, son regard glacial ne présage rien de bon. Très vite je me rends compte que cet agent ne semble pas disposer à m'aider, il ne veux rien entendre. Il me fait comprendre dans un anglais "polonisé" qu'il est trop tard pour embarquer et que je n'aurais tout simplement pas dû arriver en retard. En dernier recours, je vais même jusqu'à essayer mon fameux regard " Chat de Shrek", en vain. A ce moment, désespéré, exaspéré, un mot est remonté de ma jeune part d' inconscient collectif Polonais. Un "K" limpide, accompagné de son "U" éternel, d'un "R" roulé comme une cigarette de légionnaire suivi d'un "WA", sensible et scandaleux.

Soudain, comme touché par la foudre, l'agent de comptoir s' immobilise. A la manière d'un contorsionniste pris d'un torticolis, il dirige lentement son regard dans ma direction, comme au ralenti. Il me dit "Moment ", puis tout s'accélère. L'agent décroche un combiné de téléphone et compose un numéro à la hâte. Ses phrases sont courtes et marquées de petites pauses, comme si la personne à l'autre bout du fil était extrêmement influente. Quant à moi, je restai planté là, n'ayant aucune idée de ce qui allait advenir de moi et de mon billet d'avion pour Amsterdam.

Après 1 ou 2 minutes d'intenses négociations, l'agent raccroche le combiné, me fait un grand sourire et me confirme que je peux embarquer. Une joie sans nom s'empare de moi et je sautille comme un cabris pris de colique, tout en remerciant mon sauveur à coup de "Dziekuje".

C'est à ce moment que j'ai pleinement mesuré la quintessence et la force du "K", j'ai compris qu'il pouvait changer un français à la peau noir en compatriote Polonais.

Soyons fier du "K" J'aime bien raconter l'histoire de l'Aéroport, car elle souligne l'importance d'un mot qui est plus qu'un gros mot, un mot qui à lui seul est une gage d'appartenance, une marque de fabrique made in Polska. Tout ça malgré une sorte voile hypocrite qui cherche souvent à l'étouffer…

Quand on apprend une langue, le gros mot ne tarde pas à montrer le bout de son nez, tel un réflexe inconscient. Comme un test , un gros mot bien prononcer est de bonne augure, cela suscite souvent l'admiration des locaux et favorise l'intégration. Bien sûr si l'on se replace dans un contexte Polonais, le "K" est le mot que la plupart des parents interdisent à leurs enfants de prononcer. Sans prendre la peine de préciser que seul les adultes ont le droit de s'oublier de temps à autre. Voici là tout le paradoxe du gros mot…

Pour finir, je dirais qu'une langue devraient être acceptée sous toutes ses formes et cuisinée à toute les sauces, tout en utilisant les épices avec modération.

Donc Sois, Soyons, Soyez fiers du "K" !!! …Kurwa Mać !!!

Lude Reno