Je viens d’une famille polono-japonaise. Je suis née en Pologne et j’y ai été éduquée. Il y a un certain temps, j’ai déménagé au Japon pour retrouver mes racines. Je suis partie avec une vision du ‘pays du soleil levant’ semblable à celle qu’a la majorité des Polonais. Les nouvelles technologies, la street fashion tokyoïte, la pop culture japonaise – c’est ce qu’évoque le Japon contemporain. Le monde des geishas et des samouraïs n’est plus attirant depuis la fin de la série télévisé ‘Shogun’. Cependant, contrairement à mes attentes, j’ai retrouvé au Japon la culture traditionnelle et c’est d’elle que je suis tombée amoureuse. Lors de ma première séance de théâtre kabuki, j’ai vu sur scène l’acteur Ichikawa Ebizo qui, dans sa danse, incarnait deux personnages – un dandy du XVIIIème siècle et son amoureuse de geisha. Je regardais le spectacle enchantée. En sortant du théâtre, j’ai décidé que j’apprendrai la danse japonaise traditionnelle, le nihon buyo.

La danse buyo n’est pas populaire au Japon. Les jeunes filles préfèrent apprendre le ballet ou d’autres danses occidentales, et les enseignantes de nihon buyo, quant à elles, se font payer très cher, ce qui rend cet art moins accessible encore. J’ai réussi tout de même à trouver une maitresse qui m’a admise dans son école. Nishikawa Fukushino, dans sa jeunesse, est venue à Tokyo depuis Okinawa. Comme quelqu’un d’extérieur, elle avait beaucoup de mal à faire s’ouvrir les portes du monde des danseuses professionnelles. Très compréhensive, elle s’efforce aujourd’hui d’épargner aux jeunes danseuses les difficultés auxquelles elle a dû elle-même faire face.

La danse nihon buyo est très différente de toutes les autres formes de danse que l’on peut rencontrer à l’Ouest. Lorsqu’on dit d’une ballerine qu’elle semble flotter deux centimètres au-dessus du sol, on dira d’une danseuse de nihon buyo qu’elle tente de descendre deux centimètres sous le sol. La danse buyo est très lente, presque statique. Toute l’expression de la danseuse ou du danseur est focalisée vers l’intérieur. L’exemple le plus proche pourrait être l’art de la pantomime, et cela non seulement parce que dans les deux cas il y a une histoire mais aussi parce que les gestes sont le langage du récit. Aussi bien dans le buyo que dans la pantomime, tout le corps de l’acteur/danseur se maintient dans une immense tension afin d’obtenir l’effet d’une négligence superficielle des mouvements.

Après mon retour en Pologne, j’ai eu peur de ne pas pouvoir continuer à danser. Je n’ai trouvé nulle-part une maitresse qui puisse me guider dans l’apprentissage. Il ne me restait qu’à répéter ce que j’avais déjà appris au Japon, dans l’espoir qu’un jour j’arriverais au niveau de la perfection. Le moment décisif a été pour moi la lettre de ma maitresse dans laquelle elle m’autorisait à me produire de manière indépendante en Pologne et même à transmettre mon savoir aux autres. Il restait à savoir si quelqu’un ici avait envie de regarder cette danse et plus encore, de l’apprendre.

Au Japon, la danse buyo est perçue comme extrêmement érotique. C’est une danse pratiquée par les geishas, riche de sous-entendus sexuels, attirants et excitants. Mais qui, en Pologne, serait excité par une fille enveloppée du haut en bas dans un kimono, de telle sorte que l’on ne puisse pas même deviner son corps ? Mes premiers spectacles n’ont été vus que par ma famille et mes amis proches. Petit à petit, toutefois, j’ai commencé à participer à divers évènements liés à la promotion de la culture japonaise. La faculté d’études japonaises à Varsovie qui organise les Journées de la Culture Japonaise, la Fondation 'Marebito' avec son festival du Printemps Japonais, le Musée de l’Asie et du Pacifique qui organise le cycle d’évènements sous le nom de Théâtre de l’Asie ainsi que beaucoup d’autres institutions m’ont été d’un grand secours.

Finalement, j’ai aussi trouvé ma place au Studio des danses orientales et du flamenco NTF où j’enseigne actuellement. Mes élèves sont très douées et appliquées et moi, grâce au travail avec elles, j’ai l’occasion de me développer moi-même.

Cependant ce qui me fait le plus plaisir, c’est la participation à des projets liés directement à la danse japonaise traditionnelle. Comme quelqu’un d’extérieur, au Japon, je n’aurais jamais pu devenir danseuse professionnelle. Le monde des arts traditionnels est, sauf à de rares exceptions, fermé aux personnes extérieures aux familles d’artistes.

Néanmoins, être en dehors de ce monde me donne beaucoup d’opportunités que n’ont pas les danseuses professionnelles. Je peux impunément expérimenter avec la danse sans courir le risque de subir l’ostracisme de toute la communauté artistique. L’année passée, j’ai participé à un projet de performance dans le cadre de l’Ishiwata Bienale à Berlin et j’ai pu y présenter mes propres chorégraphies pour la ‘Hanka’ de Grzesiuk et une improvisation accompagnée de jazz joué au saxophone. Cette année, je participe au projet théâtral ‘L’histoire de la femme qui dansait’ réalisé par Ela Jabłońska. Les représentations sont prévues pour le 7, le 8 et le 9 novembre 2010. Je suis également en train de préparer quelques nouvelles chorégraphies accompagnées de musique contemporaine.

Contrairement à mes craintes, les Polonais acceptent de mieux en mieux cette forme de danse difficile qu’est le nihon buyo. Certains semblent même la comprendre.


Texte: Hana Umeda
Traduction : Sadia Robein