Ici du côté de la Vistule nous avons beaucoup de jours fériés. Si, en novembre, la Toussaint et la fête des morts prédisposent à la mélancolie et à la méditation, la fête de l'indépendance, que la Pologne célèbre, comme l'Angola, le 11e jour du 11e mois de l'année, invite davantage à la réflexion.
Quelles sont les différences entre une marche et un défilé ? D'après le dictionnaire polonais, la marche consiste en une foule organisée qui manifeste dans la rue en marchant à un pas rythmé, tandis que lors d'un défilé, la foule proteste. Les marches de novembre de ces deux dernières années s'apparentent cependant bien plus à des défilés. Contre quoi ces jeunes gens protestent-ils ?
L'expérience de l'an dernier aurait pu inciter à cantonner à des quartiers aussi isolés les uns des autres que Ursynow, Bemowo et Targowek les marches qui, selon des itinéraires différents, suivaient respectivement le Président de la République, les représentants du centre-gauche, et ceux de la droite. Les extrémistes quittant Varsovie se seraient certainement retrouvés à la Gare Centrale mais les émeutes auraient été évitées. Peut-être fallait-il organisée une grande fête de l'indépendance au cœur de la ville ?
En effet, les célébrations officielles de la place de Piłsudski se déroulent devant le Tombe du Soldat inconnu dans le respect qui sied à un événement de cette importance. La capitale rend hommage aux héros nationaux, aux pères et aux mères de la liberté. En Pologne, comme en Angola, l'accès à l'indépendance a été une expériences douloureuse pour plusieurs générations. Aujourd'hui, presque cent ans plus tard et dans une période de paix, la commémoration de cette journée devrait être un moment de pure joie. C'est le cas en Algérie, en Angola, aux États-Unis, des nations qui se sont libérées de la France, du Portugal et de l'Angleterre par la guerre. Seule Varsovie voit se produire un tel stress public. Demandons son avis à la gardienne de la ville : "Mademoiselle la Sirène, qu'en pensez-vous ? La vieille-ville et les bords de la Vistule ont été épargnés par les émeutes mais de ta place on voyait bien les fusées et on entendait bien les pétards."
Il y a un an j'étais dans la rue Marszalkowska. Dans le cortèges de droite, je n'ai vu ni femmes ni enfants. Quasiment que des mecs. Depuis quand seuls des hommes représentent la nation ? Depuis quand la Pologne est-elle unisexe ?
Fêter ou marcher, telle est la question. La marche a-t-elle jamais unifiée la population en temps de paix ? La marche ne peut avoir qu'un seul but. Tout enfant sait ce qui peut s'y produire : violence, bagarre, casse, vandalisme, émeutes. Voilà ce qu'est la marche de novembre dans la capitale. On peut ajouter à l'ensemble pavés, poubelles, panneaux de signalisation arrachés. Les marches associent les intérêts de groupes de toutes sortes. La marche proteste, revendique, mais finalement divisent.
A la veille des célébrations, j'entendais les habitants s'interroger : fallait-il quitter la ville ou rester enfermer chez soi ? Quelle triste alternative. La population est capable d'anticiper les débordements du 11 novembre. Cette année ce n'était pas une répétition de divertissement* mais les Jeux Olympiques. Les Varsoviens ont de nouveau vu une fête supposée familiale et joyeuse virée en affrontements de hooligans. Le centre-ville, rue Marszalkowska en tête, a été transformé en véritable champs de bataille. Dans quelques années, en regardant les photos, il sera difficile de deviner l'année où ont eu lieu de telles violences. Toute ressemblance ne serait pas fortuite.
Des pétards et des fusées ! Pourquoi s'équiper comme pour aller au stade de foot ? Aurait-on pu y remédier ? Les autorités disperseront-elles dans le centre-ville les marches de l'an prochain ? Les conseillers municipaux hisseront-ils leur détermination et leur courage au-dessus des intérêts de partis ? Éviter le croisement des itinéraires est insuffisant pour prévenir les affrontements. Il n'est pas question d'interdire les marches mais Varsovie ne se limite pas à son seul centre-ville. Il est temps de démocratiser et de délocaliser les marches dans les 18 quartiers de la capitale. Le fleuve peut séparer les marches antagonistes, les 11 quartiers rive gauche et les 7 quartiers rive droite peuvent être attribués par tirage au sort ou à tour de rôle chaque année. Le principe de "non-croisement" des itinéraires sera ainsi réellement appliqué. La ville économisera sur les réparations de la voie publique que les émeutes rendent inévitables.
Il existe encore une solution. Nous pouvons fêter l'indépendance tous ensemble à l'Ambassade de l'Angola (le Stade nationale près du Pola Mokotowskie** peut remplacer pour une journée la résidence de l'ambassadeur d'Angola). Nous restons à Varsovie car Luanda est trop loin. Là-bas, tout se déroule dans une joyeuse atmosphère de fête familiale. Dommage que les statues ne parlent pas. Je me demande ce que Dmowski et Piłsudski penseraient. Que diraient-ils devant les caméras au sujet des émeutes lors d'une journée si importante pour eux ? Plus de respect pour Varsovie. Je suis né loin d'ici mais une connaissance minimale de l'histoire de la Pologne apprend que Varsovie est allergique au nom de "marche". Elle a vu tant de marches militaires et étrangères par le passé. Que se soit un défilé, un cortège... pourvu que ce ne soit pas une marche !
Mamadou Diouf
* Powtórka z rozrywki (Une répétition de divertissement) - titre d'une émission radio populaire
** un grand parc près du centre-ville