Ville sans hommes, ville sans vie, autrement dit, les habitants d'une ville contribuent grandement à son image et à son atmosphère générale. C'est pourquoi à Varsovie comme partout ailleurs, j'affectionne tout particulièrement la rencontre avec les gens, le rapport humain qui régie notre grande famille. Il y a déjà quelque années de cela, j'ai rencontrer un personnage unique, Jacek Andrzejewski, un Varsovien installé à la capitale depuis près de 12 ans, après un petit séjour de 30 ans en Allemagne. Un homme sans lequel Varsovie n'aurait pas exactement la même saveur. Pour certain, Jacek est un fauteur de trouble, pour d'autres c'est un artiste à part entière, un homme qui apporte sa pierre, qui se veut souvent rebelle, au mur de la tolérance. La première fois que j'ai rencontré Jacek, ce fut à l'occasion d'un reportage que je devait réaliser pour une télévision français. C'était en 2008, nous avions rendez-vous au klub Sklad Butelek. Jacek était accompagnée sa compagne-muse, l'artiste Natalia Andrzejewska qui me salua dans un Polonais enrobé d'un accent Ukrainien des plus suave.

Le but de ma rencontre avec ce couple improbable, que je surnommerai par la suite "les deux inséparables", était un reportage ayant pour thème l'industrie du sexe à Varsovie et la religion. A cette époque Jacek venait d'inaugurer une exposition, "Trzecia Godzina Gratis", pour laquelle il avait passé plusieurs années de sa vie à collecter les flyers (urlotki) qu'on trouve un peu partout dans les rues de Varsovie et qui vantent les charmes des maisons closes. Pour son exposition Jacek à effectué des collages de flyers qui une fois assemblés représentaient des symboles comme la faux et le marteau ou encore des édifices, à l'image de sa cathédrale gothique, l'une de ses oeuvres qui fut de loin la plus remarquablement remarquée d'entre toute.

Quand j'ai demandé à Jacek pourquoi il avait décider de réaliser une exposition aussi prompt à la controverse il m'a répondu en ces termes: J.A: "Moi à la base je suis tailleur de pierre, c'est mon métier, ma grande passion, et à côté de ça, je ramasse et je collectionne les tracts de maisons closes qui fleurissent sur les pare-brises des voitures, parce que pour moi c'est quelque chose qui est devenu propre à Varsovie depuis la chute du mur. Le métier de tailleur de pierre requiert une bonne condition physique, hors il y a quelques mois je me suis cassé la jambe, donc je me suis retrouver dans l'incapacité de tailler la pierre. C'est alors que Natalia m'a conseillé de faire bon usage de ma collection de flyers, et c'est ainsi qu'est née cette exposition à la suite d'un simple accident."

L.R
"Mais pourquoi représenter un édifice comme une église dans un pays ou la religion est si importante pour une grande partie de population, n'est ce pas de la pure provocation ?" J.A "Tous ça c'est de l'hypocrisie; je veux dire que l'église aujourd'hui est un instrument politique très puissant, certains politiciens n'hésitent pas à utiliser la foi de millions de croyants dans le but de se faire élire. Même si pendant le communisme l'église fut un symbole de résistance, un bouclier pacifiste dressé au nez du communisme. Aujourd'hui tout comme ces bordels, tout ça c'est devenu du business. En ce qui concerne les filles qui travaillent dans l'industrie du sexe, elles ont au moins le mérite de ne pas se mentir à elles même, elle savent ce qu'elle font et elles assument plus ou moins leur profession. L'église quand à elle se voile continuellement la face et refuse de voir qu'elle est régie par l'argent et le profit au dépend de la foi immatérielle. Après la chute du communisme en Pologne, ces prostituées provenant pour la plupart de milieux ruraux, ont commencé à exister. Elles ont commencé à faire ce que le système socialiste ou la morale chrétienne leur interdisait. Le communisme était tellement formidable qu'il n'y avait pas de prostitution, pas de criminalité et pas même une once de racisme. Venue en masse tenter leur chance à la capitale, ces filles à la recherche d'une vie meilleure ont commencé à gagner correctement leur vie." ...

C'est dans ce climat de dénonciation en douceur que j'ai rencontré pour la première fois Jacek Andrzejewski. Trois ans plus tard, en mars 2011, je suis une nouvelle fois assis en face des deux inséparables, curieux de savoir quelles avaient été les retombées de l'exposition "Trzecia Godzina gratis".

J.A
"Les réactions été mitigées, certains ont crié au scandal, mais la plupart des gens ont aimé l'initiative. Une partie des oeuvres ont été également exposées ici dans ce bar, et je me rappelle de deux filles assise à côté d'un des collages. Elles n'ont remarqué qu'après une bonne heure que c'étaient des pubs pour maison-closes, ensuite elles se sont contentées de commenter le tableau en souriant. Le moins drôle est que j'ai été déclarer de persona non grata lors du festival Rewizje, l'organisation a simplement refusé d'exposer mes oeuvres. C'est ce que j'appelle l'hypocrisie et le syndrome du Marianisme, les soit disant gardien de la morale qui ne jure que par la Madonne. Mais pour ce qui est de la scène internationale, mes collages ont été exposé à Milan ou mon travail à été dans l'ensemble très bien accueilli. L'Italie est également un pays très conservateur, mais ça n'a pas empêcher les amateurs d'art d'apprécier mon travail."

RL.
"Donc tu penses qu'en Pologne on ne sait pas apprécier l'art à sa juste valeur?"

J.A
"Je dirais que la Pologne est un pays qui a beaucoup évolué depuis la fin du communisme, et ce à plusieurs niveaux mais certaines mentalités n'ont pas bougé d'un poil. Le Marianisme est un des problème majeure car elle constitue une censure hypocrite et un moyen de pression sur les gens, maintenant l'Eglise et la soi-disant morale constituent un frein à l'évolution des mentalités. Le deuxième problème est que beaucoup d'artistes font de l'art commercial, de l'art Fashion. C'est juste une attitude quand tu creuse, souvent il n'y a rien derrière, c'est juste pour la gloire et l'argent. J'ai parfois l'impression que l'art en Pologne vends son cul au plus offrant. Certains artistes font vraiment du "savon commercial". Et des fois ça va à l'encontre de mon travail les gens figent les artistes dans des cases Je me rappelle par exemple d'ateliers de mosaïque dirigeait pour des enfants de Praga. Nous étions entrain d'assembler de petits bouts de céramique quand quelqu'un m'a demandé si c'était du "Street Art", ça montre à quel point tout est catalogué sans qu'on laisse une chance à ceux qui offrent quelque chose d'unique et non un art globalisé. Même si l'art Polonais à profondément marqué les esprits dans le année 70-80, avec les affiches entre autre, tout ça c'est perdu dans du business pur et simple."

R.L
"Vu qu'on parle d'art, quel est ton rapport à l'art ?"

J.A
"En ce qui me concerne, même si j'ai terminer l'académie de sculpture, tout à vraiment commencé quand j'étudiais l'art graphique en Allemagne. Un jour, dans un bar, j'ai rencontrer un gars, un Allemand qui revenait d'Afrique. Il disait avoir quitté le paradis pour revenir en Allemagne. Il était tailleur de pierre et c'est lui qui m'a appris mon métier. Avec lui j' ai appris les bases et j'ai monté mon atelier, mais je me suis très vite dirigé vers le côté artistique tout en délaissant l'aspect business. Ensuite je suis revenu en Pologne il y a 12 ans de ça et dans les début j'ai été accueilli ici comme un artiste venant de l'Ouest. Je crois que le commercial c'est vraiment pas pour moi, je sais pas faire et j'aime pas ça. Par exemple en revenant en Pologne j'ai eu l'idée de créer des mosaïques dans les rues pavées. Au départ ça devait être du business mais ce projet s'est transformer en projet artistique. Aujourd'hui j'ai un atelier et un concept qui s'appelle le Kamienikon qui est l'art de faire parler la pierre, qu'elle soit sur le sol, comme une de mes mosaïques qui se trouve à l'entrée du parc Ujawdozskie, ou qu'elle soit dans un jardin, à l'intérieur d'une maison ou encore utilisé pour filtrer la lumière, sous forme de vitraux. C'est un monde vie qui me convient, le travail de la pierre est un travail difficile, les pierre sont parfois très lourdes, il faut les transporter, par exemple nous on se ravitaille en pierre chez les frères Wisniewski à Milanowie et des fois il faut transporter de lourdes pierre jusqu'à une destination donnée. Mais tout cela fait partie de mon style de vie, j'essai de subsister grâce à ma passion, c'est un combat, une grande aventure. Je ne peux pas rester en place, je suis en perpétuelle évolution à la recherche de tout les moyens possible d'améliorer mon art."

R.L
"Qu'est ce que tu fais en ce moment et comment tu envisage le futur ?"

J.A
"En ce moment je travail le design d'intérieur et notamment sur la lumière et la pierre en confectionnant des lampes faites de pierre que je peins. Je travail également dans l'aménagement de pierre, de mosaïque et autre installations dans les jardins ou en plein air. En ce qui concerne le futur, je fais confiance aux nouvelles générations, petit à petit elles avancent vers l'universalité, vers une compréhension objective d'elle même et de leurs potentiel".

Jacek, de par sa perception du monde et de son amour pour la matière minérale, la thérapie qui rend son monde plus positif, est un passionné qui n'hésite pas à revisiter l'univers du flyer de maisons closes, flirtant ainsi avec l'immoral, surfant entre le sacrum et le profanum.

Jacek est un de ses artiste mué par une force artistique sans bornes et sans dogmes. Jacek Andrzejewski un artiste, un homme engagé, le coeur dans l'action, quelqu'un qui n'a rien perdu de la fougue de ses jeunes années. Quelqu'un qui a retrouver depuis longtemps son innocence perdu tout en cultivant la flamme d'une soif de savoir sans limite, le tout avec une touche d'humour quand il conclu notre entretien en disant:

J.A
"Bien sûr comme certains je donnerai mon cul pour un peu de confort, mais personne n'en veut" (Rires)

N.A (Natalia, la femme de Jacek)
"Moi je le prends!!!" (Rires)


Lude Reno

Pour plus d'informations au sujet de Jacek et Natalia Andrzejewski rendez-vous sur le site: www.kamienikon.jaaz.pl