J'habite en Pologne depuis six ans déjà, mais je me sens toujours russe, bien qu'à la maison et au travail, je parle en polonais et bien que je rêve en polonais aussi. Parmi mes amis, il en est beaucoup qui viennent de l'ex-URSS, d'Ukraine, de Biélorussie, de Russie, d'Ouzbékistan, de Lettonie. Nous nous efforçons d’entretenir nos coutumes communes. Les personnes originaires d'URSS attachent beaucoup d'importance à la célébration de la Saint Sylvestre. Ce jour-là, nous nous offrons des cadeaux, nous décorons le sapin et organisons la fête. La plupart d'entre nous considère la Saint Sylvestre comme une fête de famille. Cela, sans doute, parce que durant toute une période, nous ne pouvions pas célébrer la Noël et que beaucoup ont donc "choisi" de faire du dernier jour de l'année leur grande fête de famille. Aujourd'hui, la coutume de célébrer Noël reprend peu à peu son importance, et c'est maintenant un jour chômé, mais l'on continue encore de ne décorer le sapin qu’à la Saint Sylvestre. Cette nuit-là est aussi celle où nous rend visite le Ded Moroz (Grand-père Gel, l’équivalent de Saint Nicolas) qui nous laisse des cadeaux. Il est, contrairement à son homologue occidental, un personnage "laïque". À Noël, en revanche, on ne s'offre toujours pas de cadeaux.

Il existe aussi une autre fête, appelée fête militaire et qui, à vrai dire, s'est transformée en fête de l'homme (c’est -depuis peu, d'ailleurs- devenu un jour chômé), et cette célébration fait pendant à la Journée de la Femme. Dans les écoles, à l’occasion de la Fête de la Défense, les filles font des présents aux garçons et l’on fait ses vœux à toute la gente masculine de Russie et à une grande majorité de celle l'ex-URSS, cela alors même que bien peu de ces destinataires sont réellement au service de la défense: le plus souvent, ils fuient l'armée comme la peste. La Fête de la Défense de la Patrie est donc bien l'équivalent de la Journée de la Femme qui, elle, est célébrée le 8 mars et est très respectée en Russie. Tous les ans, je reçois quelques SMS de vœux de la part de mes copains russes. Mes amis russophones qui vivent en Pologne ne m'oublient pas non plus ce jour-là.

L'un des exemples les plus parlants du croisement qui existe dans la culture russe entre fêtes païennes et fêtes chrétiennes est la Maslenitsa. On la célèbre la dernière semaine avant le Grand Carême orthodoxe. L'équivalent polonais de cette fête est, peut être, dans une certaine mesure, le jeudi gras, à l'exception près que la Maslenitsa dure toute une semaine et que le dernier week-end a lieu ce que l'on appelle la "cherokaïa Maslenitsa". Lors de la Maslenitsa, on fait des crêpes qui sont le symbole du Soleil revenu avec le printemps. Maslenitsa est une fête païenne d'adieu à l'hiver et de salutation au printemps. Dans l'Antiquité, on organisait, pour l'arrivée du printemps, divers jeux populaires dont certains ont perduré jusqu'à ce jour. Aujourd'hui encore, lors de la szerokaja Maslenitsa, on peut assister au bras de fer, voir des ours, jouer au lapta (jeu d'équipe). La célébration de Maslenitsa fut brillamment mise en scène par le cinéaste Nikita Nikita dans le film Le Barbier de Sibérie. La fête se termine par la destruction par le feu de la poupée « Maslenitsa », ce qui symbolise la fin de l'hiver. En Pologne, il est plus difficile d'organiser cette cérémonie mais nous faisons quand même des crêpes et nous nous réunissons ensemble à une table pour discuter. C'est pour nous une occasion de nous revoir.

Depuis peu, les Pâques orthodoxes (Paskha), comme la Noël, sont aussi célébrées, mais il s'agit d'une fête à l'occasion de laquelle même les non-croyants peignent des œufs et cuisent au four le koulitch (un gâteau traditionnel pascal). Les œufs décorés et le koulitch sont portés à l'église afin d'y être aspergés d'eau bénite, tout comme dans la tradition catholique. Mais la grande messe pascale a lieu la nuit et, à cette occasion, les orthodoxes se réunissent à l'église. Les orthodoxes de Varsovie se réunissent dans l'église orthodoxe du quartier de Praga. À cet office sont présents des ambassadeurs et des représentants issus de presque tous les pays orthodoxes - de Grèce, de Serbie, de Bulgarie, de Russie, d'Ukraine, de Géorgie, de Macédoine. Quant à nous, nous nous y rendons habituellement vers 23 heures, alors que la messe est déjà commencée. À minuit, l'autel est ouvert et on commence le kresney hot - une procession durant laquelle tout le monde fait le tour de l'église trois fois avec un cierge à la main- puis on revient dans l'église où l’on prie jusqu'au matin, si l’envie et les forces qui nous restent le permettent.
Le dimanche de Paskha, nous nous saluons par les mots "Christos Voskres" auxquels on répond: "Voistinu voskres". Nous échangeons aussi par trois fois des baisers. D'habitude, nous ne partons pour les fêtes à la maison, nous nous réunissons tous à une table, chacun apporte avec lui un œuf décoré.

Dans la culture russe contemporaine, les fêtes religieuses sont apparues récemment. Donc, pour l'instant, elles ne sont pas très populaires. On les considère plutôt à égalité avec les fêtes nationales ou, disons, comme de même importance que la Journée de la Femme. Toutefois, dans une certaine mesure, l'Église orthodoxe, nous rassemble autour d’un sentiment d'identité commune, d'une spécificité, qui nous rapproche de notre culture.

Les fêtes nationales, qui sont en tout et pour tout au nombre de trois, ne sont pas, quant à elles, célébrées en grande pompe. L'une d'elles, appelée par les Russes "fête de l'indépendance" a lieu le 12 juin. Cette fête s'appelle officiellement Jour de Russie - Fête de la Souveraineté de la Fédération de Russie. Mais personne ne la célèbre vraiment. Une autre, fêtée le 4 novembre (et non plus le 7, comme c’était le cas auparavant) reste, elle aussi, très peu populaire. Quant à la troisième, qui reste la fête la plus respectée, la Fête de la Victoire, que l'on célèbre en mai, elle est, dans des familles comme la mienne, dont les grands-pères combattaient durant la guerre, devenue véritablement une fête familiale. En Pologne, nous ne célébrons pas nos fêtes nationales mais chacun s'en souvient. À cette occasion, nous nous faisons des vœux, car tous nous avons ou avons eu un arrière grand-père combattant de la deuxième guerre mondiale.

Y a-t-il encore d’autres évènements à célébrer? Il y en a quelques uns. A Varsovie, un de mes amis a organisé une fête à l’occasion du 45ème anniversaire du vol de Gagarine dans l'espace. C’était un 12 avril et, à cette date, est aujourd'hui célébrée la Journée de l'Astronautique. Ce n'est pas une fête nationale et peu de gens s'en souviennent, mais étant donné qu'un soviétique a été le premier homme dans l'espace, c'est notre héritage commun et une raison de fierté. Cet ami avait donc décidé d'organiser une fête au cours de laquelle nous avons écouté un enregistrement de la voix de Gagarine, où nous avons entonné le chant des astronautes Трава у дома et où, au final, nous nous sommes bien amusés. Comme on dit: "Et il n'y a toujours pas de raison pour ne pas se rencontrer".

Nous cultivons nos coutumes culinaires, nous faisons du bortsch, du schi (une soupe de choucroute), de la ucha (une soupe de poissons), des pelmeni. ÀVarsovie, il n'y a que deux restaurants de cuisine russe et je dirais que c'est plutôt de la cuisine soviétique puisque, au menu, figurent le bortsch ukrainien, la samasa ouzbéque, les dranilki biélorusses, la solianka russe et bien d'autres délices.

En Pologne, nous avons un accès restreint à la culture russe, mais nous nous réjouissons du festival Sputnik lors duquel nous pouvons assister à des premières de films russes. Sur les scènes des théâtres de Varsovie, on intérpète non seulement Tchekhov et d’autres classiques russes mais aussi Dans le rôle de la victime des frères Presniakov ou Des hommes et des anges de Chenderovitch au Teatr Współczesny.

L'un des principaux facteurs qui définissent notre identité est la langue que l’on parle. Lorsque nous nous rencontrons, nous nous efforçons de parler le russe, mais si une personne qui ne comprend pas cette langue se joint à nous, nous parlons polonais. C'est souvent le cas.


Texte: Maria Strelbicka
Traduction: Sadia Robein