La plus importante fête musulmane est l'Aïd el-Kebir. Cette cérémonie religieuse est célébrée à la fin du pèlerinage à la Mecque (appelé le hajj) et fait référence au geste d’Ibrahim (Abraham) et à sa soumission à Dieu. Selon l’Islam, Ibrahim devait sacrifier son fils, Ismaël, en l’honneur d’Allah lorsque ce dernier, en voyant le dévouement d’Ibrahim, lui permit de sacrifier un mouton, à la place de son enfant. C’est pour cela que l’on appelle également cette cérémonie "Fête du Sacrifice" ou "Fête du Mouton". C'est un jour de joie et de partage avec ses proches et ses voisins. Au Sénégal (où les musulmans constituent 90 % de la société), cette fête est plus connue sous le nom de Tabaski. Ce nom, en langue wolof, est bien une originalité dans le monde musulman où c'est plutôt la nomenclature arabe qui est en vigueur. Ce jour-là toutefois, certains n'ont pas cette possibilité d'être avec leurs proches. Loin de sa maison, chacun essaie de se débrouiller pour quand même célébrer la fête. Au sein de la diaspora sénégalaise de Varsovie, on se donne habituellement rendez-vous dans la maison ou dans l'appartement de l'un des siens.

Cette année cependant, avec des amis, nous sommes allés fêter ensemble dans le quartier de Saska Kępa, au Café Baobab qui existe depuis un certain temps déjà. C'est un local bien agréable dont la décoration, les senteurs, boissons et musiques exotiques, créent une ambiance originale.

Nous nous sommes cotisés avant (selon les possibilités de chacun) pour l'achat du mouton. Tradition oblige. La viande de mouton est très populaire dans les pays musulmans où la religion interdit la consommation du porc.

Au Café Baobab, les invités sont arrivés relativement tôt. Les Sénégalais ne se donnent pas toujours rendez-vous à une heure précise. Ils préfèrent plutôt se dire "ci-suba" (le matin), "ngoon si" (en fin d'après midi) "timis, gudi gi" (dans la soirée, nuit). Pas à 16, 18 ou 21 heures.
- Vous savez quoi? J'aurais bien aimé être à Dakar aujourd'hui! Vous vous imaginez quelle ambiance y règne maintenant? Plus fiévreuse qu'avant le Noël en Pologne. Toute la ville sort dans les rues. C'est une fête joyeuse mais, financièrement, assez pesante pour le chef de famille; il faut obligatoirement acheter un mouton et de nouveaux habits aux enfants. Imagine-toi un gars avec deux femmes et toute une troupe de gamins. Toute la ville est dans les rues, l'argent circule plus vite, des embouteillages paralysent, par moments, la ville - dit Abdoulaye.
- Dommage que nous n'y sommes pas - ajoute Massamba - les vendeurs de moutons doivent maintenant placer leurs marchandises où ils peuvent. Et comme les vêtements sont taillés sur mesure et non pas achetés au magasin de prêt-à-porter, les tailleurs travaillent jusque tard la nuit pour arriver à suivre. Toutes les conversations, dans les bus et dans les files d'attente devant les banques (pour les emprunts), ne concernent que les prix et la santé des moutons. J'aime quand, à l'aube, les enfants lavent le mouton, puis l'attachent devant la maison, et que des quartiers entiers, tout décorés, se dirigent le matin vers la mosquée voisine pour la prière commune.
- Les femmes vont aussi à la mosquée? - demande Tomek, un habitué du Café Baobab.
- Mais non! Seulement les hommes, les garçons et les femmes âgées - explique Mohamed. Nous sommes tous assis à une longue table, avec les amis de Gambie et de Pologne. Aziz nous sert les boissons: d'hibiscus (bissap), de fruit de baobab (buj) et le jus de gingembre (ginger). La musique sénégalaise, mbalax, diffusée par les haut-parleurs rassérène les oreilles et l'âme. Les conversations se font dans les langues wolof, française et, bien évidemment, polonaise. A côté de notre table, sont assis quelques clients. Ils ont commandé du mafé - un plat avec du riz, de la viande, des légumes à la sauce d'arachides, ainsi que des akra - des hors-d’œuvre sous forme de petites boulettes de haricots dans une sauce piquante avec du poivron. Je n'aime pas ce poivron. Il est fort, il brûle. Comme on dit chez nous: "le ciel et l'incendie dans le bec".

L'instant d'après, on sert déjà le thiebu yap de fête. Au Sénégal, beaucoup de plats portent un nom qui commence par thieb- riz. A la campagne, c'est le millet qui règne et en ville, décidément, le riz. Grâce à la proximité de l'océan Atlantique, le poisson occupe une place privilégiée dans la cuisine locale. La viande (de mouton, principalement) est un produit assez cher.

L'aide Aziz crie depuis la cuisine - Thieb ba ngi nëw ! Et nous nous pressons pour faire de la place sur la table. Dans un instant, on servira du riz avec du mouton. Puisque la table n'est pas ronde, nous ne pouvons pas manger ensemble dans le même bol, comme au pays, en famille. Chacun a son assiette. Vive le Tabaski! Il est temps de commencer la fête. C'est notre Tabaski varsovien, à Saska Kępa.
- Aziz, yaako yor - le meilleur! Quelqu'un vante le chef de cuisine.
- Dziotalima kanigi (passe du poivron)! Maintenant je me sens comme au pays - ajoute Malik. La nourriture est délicieuse. Les palais se délectent du vrai goût, oublié jusque là, de la cuisine sénégalaise. Nous ne savions même pas que cela nous manquait à ce point là.

- Attaya bi! Il est temps de commencer la cérémonie traditionnelle du thé, qui se constitue de trois étapes. Le premier verre-lëwël - est assez amer, le deuxième très sucré et fort et le troisième moins fort. Attaya est un thé vert chinois cuit, avec des feuilles de menthe fraîches, comme en Afrique du Nord. Après le thé, il est temps de faire des vœux et de se pardonner mutuellement.
- Deweneti! Que nous nous revoyons, ici, l'année prochaine!


Texte: Mamadou Diouf
Traduction: Sadia Robein