Rien ne nous rappelle mieux la maison que le parfum et le goût des plats indigènes. Je me souviens très bien du temps où aucun restaurant en Pologne ne servait une cuisine autre que polonaise. Le retour des vacances était alors une période exceptionnelle: des amis étudiants rentraient de chez eux avec des valises remplies de délices, d’épices, d’ingrédients de plats palestiniens! Pour les étudiants comme moi, qui pour une raison ou pour une autre ne pouvaient pas rentrer chez eux pour les vacances, c’était une occasion unique de sentir le parfum de la patrie. Des amis qui habitaient dans d'autres villes polonaises nous appelaient exprès pour nous inviter à manger avec eux de la moulkhia, de la bamya, de la kussa farcie ou du mansaf. Quelqu'un eut enfin l'idée d'ouvrir le premier restaurant arabe (syrien) en Pologne, le Shéhérazade. Il était situé au parc Morskie Oko, dans le quartier de Mokotów. Ma première visite en ce lieu - en novembre 1990 - fut une véritable catastrophe. La veille, j'avais obtenu une bourse d'études - décernée par le rectorat pour de bons résultats. Ce fut, pour l'époque, une somme non négligeable. Je décidai alors d'emmener ma femme, que je venais juste d’épouser, au restaurant afin de lui faire goûter les délices de la cuisine arabe, de lui faire connaître ce dont je lui avais parlé bien des fois déjà. Je commandai, bien évidemment, mes plats préférés: des chachlyks, des chiches kebabs, du houmous, du moutabal et autres en-cas dont la cuisine du Proche Orient est célèbre. Seulement, au moment où je vis l'addition, je faillis tomber de ma chaise! Non seulement je dépensai tout mon argent mais je fus obligé d'emprunter à ma femme 1000 anciens zlotys. Ce fut, je crois, le repas le plus cher que je n'ai jamais commandé. Heureusement, nous travaillions dans une coopérative estudiantine donc nous avions de quoi vivre jusqu'à la fin du mois.

Peu après, tout changea en Pologne. Le restaurant Samira, rue Al. Niepodległości, où l'on sert toujours non seulement des en-cas à manger sur le pouce mais également de la cuisine faite maison, fut ouvert. A la même période le premier magasin arabe vit le jour où l'on peut, aujourd’hui encore, acheter des ingrédients pour la préparation de plats typiques, et des épices qui donnent à la nourriture le parfum de la maison natale.

Les en-cas du Proche Orient sont en Pologne les plus populaires des plats régionaux. On compte parmi eux le fameux kebab (le nom juste est chaouarma) et le falafel, servis en masse dans de nombreux fast-foods arabes, turcs et grecs. Mais, pour fêter comme il faut, il faudrait goûter aux plats faits maison. Ils se divisent en deux catégories: ceux prévus pour un pique-nique ou grill et ceux pour les déjeuners chez soi.
Si le grill est bien un sport national polonais, ce sont les habitants du Proche Orient qui en sont les véritables champions. La diversité l’emporte sur la quantité; on y trouve des plats à base de viande comme des kebabs, des chiches kebabs, des chachlyks, des kebba, du tawook. Il existe encore des variantes de chacun de ces plats, selon la région et le goût.

A Varsovie, j'aime le mieux les plats servis au restaurant Le Cèdre, rue Al. Solidarności. L'ambiance y est en harmonie avec la spécificité de la cuisine. Une musique douce qui coule des haut-parleurs transpose les invités dans les montagnes du Liban, dans les jardins de la Syrie, sur les plages de la Palestine. Le décor rappelle la période du Sultanat Ottoman, la dance du ventre - ma belle jeunesse insouciante quand nous allions, avec mes amis à Damas, dans un beau restaurant dans la vallée du Rabwe.
On mange très bien aussi au restaurant Samira, rue Al. Niepodległości. A part les plats sur le grill, on y trouve aussi d'excellents plats faits maison. J'ai dit à plusieurs reprises au propriétaire que je venais chez lui pour me rappeler du goût et du parfum de la cuisine de ma mère. On y peut se délecter, dans une ambiance agréable, de presque tous les plats faits maison du Proche Orient. Maklouba, mahacha, makala, moussaka, fatayer, sfiha, tabbula, fattouch ne constituent qu'une petite partie de tous ce que contient le menu magique du restaurant.

Au Fresh and Chili, situé rue Al. Solidarności, s’élaborent toutes les saveurs du Proche Orient. Ici on-peut commander divers chaouarma (appelé habituellement en Pologne - kebabs), des en-cas typiques comme le falafel, le houmous, le motabal, etc. Les grillades de viandes, délices de la région de la Syrie du Nord, s’accompagnent admirablement d’un bon vin rouge ou même d'une chope de bière.

Le dénominateur commun de tous ces restaurants est le rapport au client, exactement comme au Proche Orient. Le client y est l'invité d'honneur et non pas une personne anonyme. Cette attention accordée aux invités est quelque chose qui différencie ces restaurants de moult bars éparpillés dans toute la ville. Même dans la chaîne de restaurant Sfinks, il n'y a de rapport aux invités et d'ambiance semblables, bien qu'on puisse y manger certains plats arabes.

La cuisine du Proche Orient n'est pas différente de la cuisine turque et de la cuisine grecque. La plupart des plats sont les mêmes, préparés avec les mêmes ingrédients et les mêmes épices. Ce qui distingue ces cuisines, c'est les hors-d’œuvre très variés servis avant le plat de résistance. Je ne peux m'empêcher de mentionner ici l'aventure qui est arrivée à deux de mes amis polonais, journalistes, qui visitaient la Palestine. Le dernier jour de leur séjour, ils entrèrent dans un restaurant à Jérusalem. En choisissant les mets sur un menu, ils se guidèrent principalement avec le prix donné dans la monnaie locale et par rapport aux moyens qui leur restaient- ils ne voulaient pas changer de l’argent à quelques heures du départ. Aussi conclurent-ils conclu qu'ils ne pouvaient pas se permettre quelque chose de très recherché et ils prirent du moukabilat. Le serveur, parlant mal l’anglais, leur demanda s'ils souhaitaient qu'il serve le tout.

Ils répondirent que oui. A leur grande surprise, après plus de dix minutes, sur leur table apparurent plein de petites assiettes remplies de délices de la cuisine palestinienne. En tout, ils en comptèrent 55. Le moukabilat n'est en fait rien d'autre que les hors-d'œuvres servis avec du vin ou avant le plat de résistance. Mon conseil serait donc de toujours demander au serveur d’un restaurant du Proche Orient l'explication sur les plats que vous ne connaissez pas. Dans le cas contraire, l’aventure qui est arrivée à mes amis dans le restaurant à Jérusalem peut aussi vous arriver.


Texte: Maged Sahly
Traduction: Sadia Robein