L’hiver nous a aimablement quittés. Le printemps est au rendez-vous. Enfin, pensais-je, je peux me promener avec ma fille. Nous sommes donc allés en bus à Krakowskie Przedmieście pour profiter du soleil. Nous avons marché de l’université vers la vieille ville. Il y a peu de temps j’ai acheté un téléphone mobile pour un zloty. La lutte pour le client continue de sorte qu’il y a plein de promo partout. Avec un nouveau appareil on a envie de prendre des photos. C’était juste après la béatification de notre pape. Un immense portrait de Jean Paul II était suspendu sur la façade de l’église Sainte-Anne. Ma fillette Daba bougeait et s’enfuyait au lieu de rester calme et d’attendre le clic-clac de l’appareil. Enfin on a réussi. Je regarde s’il faut éventuellement supprimer la photo trop floue. Et voilà une surprise ! Le roi est apparu sur le plan de la photo. Celui qui depuis des siècles siège à la place Zamkowy. J’ai pris en photo la colonne de Sa Majesté, elle n’es pas mal : la petite Dana et la haute colonne avec la statue du roi Sigismond III Vasa ! A ce moment-là une idée ou plutôt une question m’est venue à l’esprit : Où à Varsovie il y a une rue de Sigismond III Vasa ? Le prince Poniatowski a son pont et sa statue. Le roi Jean III Sobieski a sa rue et même son hôtel. Le pape a son avenue. Les généraux ont les rues et les ronds-points : Bem, Anders, De Gaulle... Il y en a a qui font rigoler, p.ex. rue Ananasowa (de l’Ananas) ou rue Galopu (du Galop). Apparemment ce sont les enfants qui ont décidé de donner le nom de Winnie l'ourson à une rue. Même le Cosmos a sa rue – rue Marsa (de Mars) ... et alors ? Où est la rue de Sigismond ?
Sa majesté, premier roi de la dynastie Vasa, nous regarde jour et nuit de 22 mètres de hauteur. Chacun qui se promenait sur la fameuse place Zamkowy sait où se trouve la colonne. Les touristes et les élèves lors des visites guidées me paraissent les seuls à regarder en haut et à chercher le monarque au sommet de la colonne. Il semble que les habitants moyens de Varsovie ont laissé de regarder vers le roi qui domine sur la place.
Grâce à Sa Majesté je n’avais pas fait mes études à Cracovie. Quand au début des années 80 j’étais venu directement du Sénégal en Pologne, je pensais que tout le meilleur se passait dans la capitale. Il en était ainsi avant et il en est ainsi aujourd’hui dans plusieurs pays africains. J’aurais donc pu m’installer à Cracovie si Sigismond n’avait pas avant transféré la cour royale de Małopolska (la Petite Pologne) à Mazowsze (Mazovie) et n’était pas devenu habitant permanent de Varsovie.
Professeur Tazbir écrit ainsi : « La colonne faite à sa gloire n’avait pas immédiatement gagné la faveur de la noblesse. Personne n’avait imaginé que la colonne deviendrait symbole de Varsovie elle-même. Et pourtant. La poésie, la peinture ou la graphique ne consacrent autant d’attention à aucun autre monument varsovien qu’à la colonne sur la place Zamkowy ».
Ceux que la Pologne reconnaît, respecte et admire, ont leurs places, ronds-points, parcs, monuments, avenues et rues. J’étais déjà à la capitale au milieu des années 90 quand les rues et autres lieux publics changeaient de patrons à grande échelle. Les résolutions des conseillers municipaux n’avaient pas épargné notre bien aimé homme d’état - Patrice Lumumba. Ce premier ministre du Congo assurait lui-même de ne pas être communiste. Il était estimé à l’est de l’Europe par le mauvais camps politique, et alors ? Pendant le cours de langue à Łódź j’habitais dans la rue portant son nom. Dommage car à Varsovie on a seulement la rue Afrykańska (Africaine) à Saska Kępa. Tout le continent africain avait été ainsi traité. Qui sait, peut-être Mandela ou Desmond Tutu obtiendraient un jour une plaque bleue-rouge avec le nom de la rue dans la capitale.
Pour en revenir à la colonne avec la statue du roi, j’ai lu que c’est le plus ancien monument profane à Varsovie. Avant que le fils n’offre à son père défunt ce cadeau (en 1644), que les saints jouissaient d’un tel privilège. L’église en était apparemment indignée. Comment pouvait-on favoriser un laïque en lui consacrant une statue en pleine air, même si c’était un roi pieux !
L’histoire est une belle chose. Professeur Tazbir, mon favoris, dit qu’on parlait du roi ainsi : « il paraissait beau à tout le monde, mais il n’avait rien des Jagellons ni des Polonais. Espagnol, Suédois, étranger dont le polonais était pur et beau, bien qu’il le parlait lentement... ».
A Varsovie il y a environ 6 mille rues, avenues, ronds-points et places. Le roi Sigismond III n’a toujours ni sa rue, ni sa place, ni son rond-point. Les poètes écrivaient qu’il était un mauvais roi, pourtant ils aimaient la colonne. Le début des années 90 était révolutionnaire pour les noms des rues – les nominations anciennes avaient été restaurées, les nominations associées aux communistes avaient été remplacées par les noms des personnes aux mérites différentes. Comment la capitale avait-elle pu oublier le roi grâce auquel j’avais fait mes études à Varsovie et je continue de vivre ici ? Dois-je me contenter de la rue Królewska (Royale) ?
Il y a tant de fêtes nationales en Pologne, mais aucune d’entre elles ne trouve pas son origine dans des événements qui avaient eu lieu lors de la vie de Sigismond. Ce n’est pas grave. La colonne constitue le symbole de la ville depuis longtemps. Beaucoup de choses se passent à ses pieds les jours ordinaires et les jours fériés, en hiver et en été. Je visualise une plaque bleue-rouge avec l’inscription : rue du Roi Sigismond III Vasa. Le double rôle du roi polonais provenant de la Suède me vient à l’esprit : il ne serait pas seulement le parton de cette rue, mais aussi des immigrés.
Mamadou Diouf
Traduction: Ewa Słotwińska