L'endroit où nous naissons définit souvent notre perception du monde, nos principes, nos valeurs, nos croyances. Le pays, la ville où nous avons grandi devient le centre du monde. Ce centre se solidifie la plupart du temps par opposition: "Ici c'est comme ça, et là-bas c'est différent. Parfois nous avons peur de l'inconnu, des endroits inconnus et des gens que nous ne connaissons pas.

 

Parfois l'inconnu nous attire et nous fait rêver, son éloignement n'a d'égal que sa perfection. Je suis originaire d'une petite île coincée entre l'océan atlantique et la mer des caraïbes côté mer et la Floride et le Venezuela côté terre. Tous les polonais qui me demandent d'où je viens sont choqué de savoir que je vis à Varsovie et me posent l'éternelle question: "Mais qu'est-ce que tu fait ici ?". Pour beaucoup l'endroit d'où je viens est un véritable paradis sur terre. Certes je leur accorde que sous bien des aspects mon île est un petit paradis.

 

Mais une personne née à Varsovie peut-elle imaginer ce que c'est que de vivre dans un pays tropical, un pays où il fait chaud toute l'année ? Peut-on s'imaginer ce que ressent l'enfant qui nait dans un pays où l'hiver est une abstraction qui ne se matérialise que dans le réfrigérateur. Un enfant qui vit dans la monotonie des saisons. Chaque année au moment des fêtes de Noël, l'imaginaire de ce pauvre diable est bombardé d'images télévisées où l'on voit un sol recouvert de son beau tapis blanc, alors qu'au supermarché du coin le père Noël suffoque sous sa tunique rouge par 30 degrés à l'ombre. Les noms comme Varsovie, St. Petersburg, Moscou ont toujours éveillé en moi des envies de voyage, un besoin d'exotisme. Oui pour moi Varsovie est une ville exotique, au même titre que Rio de Janeiro ferait rêver n'importe quel Polonais. Car je vous le dit, le mot exotique désigne en vérité quelque chose de différent de ce à quoi on est habitué. Alors j'aime Varsovie à toute les sauces saisonnière… Mais je préfère l'hiver.  

Hiver
Quelle joie de voir tomber la neige, un miracle exotique aux yeux des pauvres enfants brûlés au second degré par un soleil des tropiques jamais fatigué. Quel bonheur de voir les trottoirs disparaitre, prendre congé des passants entre Novembre et Mars, voire Avril pour les années miraculeuses. Quelle joie de sortir de sa peau d'humain en devenant tantôt un loup en meute marchant dans les traces des autres dans une neige à mi-mollet. Ou tantôt Pingouin maladroit chancelant sur la glace où se serrant les uns contre les autres sous les abris- bus. L'hiver nous rapproche les uns des autres, dans les transports en commun ou dans les chaumières. On cherche l'autre, devenu source de chaleur affectueusement chaleureuse quand le premier flocon annonce la saison des grands froids. A la sortie de l'été indien, quand l'automne dorée s'endort et déjà le blizzard s'annonce soulevant les derniers lots de feuilles mortes qui tardent à mourir, la belle sans beau balaye des yeux les dernières terrasses à la recherche d'un beau sans belle pour un étreinte hivernale. Oui l'hiver nous unis contre la solitude que seul l'artiste en quête du blues sans sollicitude et spontanée qui accompagne la grisaille pourrait toléré jusqu'à l'arrivée des beaux jours. Après quoi son oeuvre artistique terrasserait en une larme tout le positivisme des critiques les plus joyeux, juste avant qu'ils ne signent des articles à l'effigie du spleen sans fond de cet artiste mélancolique que l'hiver à inspiré. Oui l'hiver rapproche à l'heure des fêtes en famille où l'authentique Noël à tout les droits, où le bonhomme de neige trône fièrement dans les parcs ou dans les cours des maisons, où les parents ont moins de scrupules à faire croire à leurs enfants que les rois mages étaient scandinaves et cousins germains du père Noël.  


Le petit flocon s'est suicidé
Une petit flocon tombé du ciel est venu se poser sur ma main, surprise éphémère à l'architecture inégalée de cristaux assemblés, il scintille à la lumière blafarde d'un soleil tamisé. Petits flocons, singulières beautés tombés sans bruit par milliers. Le destin, trajectoire tragique pour le bonheur de mes yeux, le petit flocon sur ma main est tombé, il sombre doucement dans la chaude solitude de la mort, loin de ses camarades. Il n'aura pas la joie de se blottir contre ses frères. Il ne participera pas au grand spectacle de l'hiver avec ses semblables par milliards amassé jouant l"opéra silencieux de la neige poudreuse. Il ne sera pas aplati par le sillage des luges  d'enfants. Il n'entendra pas non plus leurs rires après de leurs chutes joyeuses, il ne sera pas mis en boule et ne sentira pas les joues rougie par le froid se coller contre lui lors de l'impact provoqué par les heureuses batailles des petites mains joueuses. Le petit flocon sur ma main s'est posé pour mourir. Il ne regrette rien car il sait que la mort d'un flocon ne sera jamais qu'une transformation, un passage d'un état à un autre. Le petit flocon s'est suicidé mais il sait naturellement qu'il sera toujours éternel et qui sait, son rêve de sortir du cycle de l'évaporation en se posant sur la pointe de l'Everest deviendra un jour réalité. 

C'est possible
Je pose un pied, rien ne se passe, pas même un craquement. Le courage l'emporte sur la peur de l'impossible. Je pose le deuxième pied, toujours rien. Je fais un pas, suivit d'un deuxième, je marche, c'est incroyable, je marche, je suis le premier, le premier Martiniquais à le faire…du moins je pense, non c'est une certitude. En véritable pionnier je m'aventure là où aucun des miens n'avait posé le pied avant moi. Fièrement je dis bonjour à ceux qui n'ont jamais eu peur, car il ne le savent pas. Oui ils ne savent pas que c'est un petit pas pour l'homme que je suis, mais que c'est un grand pas pour tous les martiniquais. Je l'ai fait et je ne veux pas de médaille. Mesdames et messieurs, du haut de mes 34 ans, je marche pour la première fois, car en hiver c'est possible…Oui pour la première fois de ma vie, je marche sur la Vistule.  

Île flottante

A la dérive, des plaques se suivent portées par la rivière. Elle résistent à l'appel de l'eau bien que le chemin soit déjà tout tracé. Les blocs s'entre-choquent et se chevauchent dans une course sans vainqueur. Du haut d'un pont  ses îles flottantes deviennent nuages d'en bas, nuages solides au formes concrètes qui viennent se briser sur le ciment de la ville. Il n'y a pas si longtemps chacun de ces îlot de glace en déroute faisait partie d'un seul et même ensemble recouvrant le fleuve avec une assurance hivernale souveraine. L'histoire se répète. Chaque années le rideau se forme, l'eau libre perd espoir dominer par cette camisole de glace. Malgré leur lien de parenté, eau et glace, frères ennemis,  se livrent alors à une guerre froide. L'eau résiste mais la glace est trop forte. Alors que tout semble perdu le ciel intervient, le soleil de la liberté chasse l'hiver de l'oppression et l'eau heureuse coule libre à nouveau sans se soucier de l'histoire…qui se répète.

En Avril ne te découvre pas d'un fil
4 Avril 2013, Praga Północ. Par la fenêtre les mouettes se battent pour un bout de pain. Elles attendent le printemps annoncé. Il est en retard et l'hiver continu à parachuter ses troupes étouffeuses de trottoirs. L'excès tue la beauté, car l'hiver est beau en son temps, quand en bon joueur il laisse la place au jeune printemps pressé de voir fleurir les arbres dénudés depuis trop longtemps.  Hiver en Octobre je t'aimais en Avril je te déteste. Aujourd'hui je rêve d'exotisme comme vous tous…Aujourd'hui  je repense à mon île… Martinique…ce petit coin de paradis. 

Lude Reno