En septembre 2009, je suis allé à une école de langues à Pékin pour y perfectionner ma langue maternelle qui est le chinois. Lorsqu'on m'a demandé, en présence d'étudiants venant des pays considérés comme des puissances culturelles et économiques, tels la France, l'Angleterre, l'Italie, la Russie, d'où je venais, je répondais avec un sentiment de complexe que je venais de Pologne, parce que je savais quels stéréotypes des Polonais persistent en Europe. Bien que je sois Chinois de naissance, je m'identifie en partie avec la nation et le pays où j'ai grandi. Un an plus tard, je suis retourné à Varsovie et j'étais surpris par la rapidité du développement de la ville. Il s'est avéré que l'époque où les nouveautés technologiques mondiales et la mode arrivaient dans la capitale polonaise avec un retard d'un an, est tombée dans l'oubli puisque la ville de province de l'Europe de l'Est s'est transformée en un clin d'oeil en une agglomération européenne moderne. Ce changement soudain a changé mon point de vue. Maintenant je suis fier de la ville où je vis! Malheureusement, pas tous mes compatriotes, voire les Chinois, partagent mon opinion que Varsovie possède son propre charme. Un touriste chinois, en arrivant en Pologne, s'attend aux sensations aussi extraordinaires qu'il a rencontrées dans la partie occidentale de l'Europe, donc à des rues de boutiques prestigieuses, de grandes tours gothiques, des châteaux entourés d'un secret mystérieux du Moyen Âge, des voitures de luxe dans les rues. Il s'attend en plus à entendre du Chopin à chaque pas traversé en ville. Pourtant, ses visions imaginaires sont rapidement confrontées à la réalité. Après le retour de vacances passées en Pologne, il semble qu'elles ont laissé des sentiments mitigés. L'illusion qui provoque l'excitation des touristes en provenance d'Extrême-Orient (et pas seulement de Chine) résulte de nombreux facteurs d'une différence culturelle, parmi lesquels on compte trois principales raisons: les stéréotypes, l'ignorance et un mode de vie autre que celui des Européens.
Commençons par le problème de stéréotype qui est ancré dans la mentalité chinoise. L'Extrême-Orient perçoit l'Europe comme le continent parfait à tous égards, noyé dans la splendeur, la richesse et le luxe. Dans l'ère du colonialisme, l'Occident avait une supériorité technique et militaire significative par rapport aux colonies, subordonnées aux états impériaux. L'avantage technologique a mis l'Asie en stupéfaction et la population locale a aimé la culture européenne en considérant les choses d'origine européenne comme meilleures. En conséquence, il existe aujourd'hui en Chine un complexe d'infériorité par rapport à l'Europe. Dans les yeux des Chinois le vin, Mozart, Louis Vitton, la Ferrari et même manger en se servant des fourchettes et des couteaux sont des symboles d'une catégorie supérieure de la vie sociale qui augmentent à leurs yeux le degré de luxe de cette région géographique. Un touriste chinois arrive à Varsovie et s'attend à voire des gratte-ciel poussant comme à Manhattan, des rues prestigieuses de l'industrie de vêtement comme à Milan et des vues nocturnes romantiques comme à Budapest. Telle est l'image de l'Europe présentée dans les brochures touristiques et les médias. Cependant, la réalité montre que Varsovie n'est pas une ville comme le touriste la croyait. Il note rapidement que la grisaille de la ville déborde de ces HLM et des canaux, que l'architecture des bâtiments n'est ni baroque ni gothique ni Renaissance comme dans les pays de l'Europe occidentale et on ne retrouve nulle part, en dehors du Palais de la Culture et de la Science, le „wow” touristique. Et là, nous arrivons au problème de l'ignorance envers Varsovie. Les Chinois ont peu de connaissance sur l'histoire polonaise et sur ce qui s'est passé dans le pays au cours des cent dernières années. Ils ne savent pas que dans une période sombre de la Seconde Guerre Mondiale la ville de Varsovie a été en un clin d'oeil effacée de la carte du monde et que c'est le pouvoir soviétique qui l'a reconstruite des décombres mais dans l'esprit de l'idée communiste, avec une architecture simple, fonctionnelle et en béton, sans les caprices si spécifiques des rois et des tsars. De l'ignorance de ce qui s'est passé dans divers lieux en Europe dans les temps troublés de la guerre résulte une idée générale de l'Europe romantique et luxueuse dans son ensemble, sans s'arrêter sur ses différents pays. En outre, le style de vie en Chine, si différent de celui en Europe, a une grande influence sur la façon dont les habitants de l'Asie perçoivent le monde occidental. La Chine est un pays surpeuplé où il manque de vie privée. Partout où on va, on est accompagné par des gens inconnus. Le brouhaha de la rue, la foule des passants, les embouteillages, l'attente d'une place dans le restaurant sont de routine dans leur vie.
Ils sont déjà habitués à de telles conditions. Puisque l'homme depuis longtemps exposé à certains stimuli externes estime que ce qu'il possède ne l'impresionne plus, il a donc besoin de plus fortes incitations à ressentir des émotions. Pour un Chinois, une façon de se procurer des émotions sont les différentes formes de divertissements bryuants et stressants, tels que: karaoké, bar, danse, montagnes russes, centres commerciaux, etc. Rien d'étonnant que Varsovie, ville pleine de parcs dépeuplés (en Chine ils sont remplis de familles) et de bâtiments incolores et modernistes ne peut pas impressionner les touristes en provenance de Chine. Les Chinois vivant à Varsovie, avec lesquels je suis en contact, se plaignent souvent qu'ils ne savent pas du tout ce qu'ils peuvent montrer aux invités arrivant de l'Empire du Milieu. Il n'y a pas dans la capitale aucun équivalent de la Tour Eiffel ou de la Place des Héros de Budapest qui pourrait impressionner les invités arrivant de loin et leur faire sentir l'européanisme de Varsovie. Il n'y a pas de clubs de karaoké auxquels sont habitués les Chinois et pour l'opéra, le théâtre et la musique classique ils ne montrent pas d'intérêt, ce qui est paradoxal car en Chine on aime Chopin; il y est très populaire. Je vais citer ici un des discours d'un guide chinois à Varsovie: „Je les emmène toujours à la vieille ville qui semble identique à d'autres vielles villes en Europe, nous nous promenons dans les parcs et mangeons des saucisses mais de toutes ces choses c'est de la charcuterie polonaise dont ils, c'est-à-dire les touristes, sont les plus satisfaits”.
Je pense que les responsables de cette perception médiocre de Varsovie sont d'une part la mairie de la ville qui néglige l'importance du tourisme et d'autre part l'incapacité des sociétés asiatiques de tirer satisfaction de vacances à l'étranger. Je dis „asiatiques” parce que je ne veux pas réduire le problème seulement au peuple chinois. Le même phénomène s'applique aussi aux autres nations d'Extrême-Orient. Nous connaissons bien le stéréotype d'un touriste japonais qui va à l'étranger pour 3 journées avec son appareil photo, prend toutes ses photos et retourne chez soi.
Où est ici la joie de la fête? Qu'on accumule des photos de monuments connus des brochures? Nous avons Google pour cela. Qu'on se prend en photo devant le Panthéon pour se vanter devant les collègues qui ne peuvent pas s'offrir des vacances à l'étranger d'être allé à Athènes ? Malheureusement, les vacances pour eux c'est prendre des photos de monuments, acheter des souvenirs et des produits de grandes marques parce que celui qui n'achète pas une marque branchée d'Europe ne peut pas témoigner qu'il y était (avez-vous vu les files d'attente des Asiates devant les caisses du magasin Louis Vitton aux Galeries Lafayette à Paris?). L'homme de race blanche a des approches différentes en ce qui concerne la question de congé. L'Européen vit selon la devise carpe diem. Le congé est pour lui un temps plein de détente et d'intimité. D'abord, il va visiter un peu les monuments, prendre les itinéraires touristiques les moins fréquentées, puis s'asseoir dans un café pendant deux heures, ce qui est pour un Chinois la perte de temps, et discuter avec d'autres voyageurs sur la vie et la mort ou bien sur des raisons de la grande humidité du poil chez les éléphants de l'Inde de l'Est ou encore sur d'autres sujets bizarres. Le lendemain, il va se faire bronzer à la plage, boire un verre de vin dans un bar, pas forcément cher. Il va passer la soirée à l'opéra et retournera de ses vacances heureux et bronzé.
Mais moi aussi, j'admets que Varsovie ne possède pas de caractère suffisant qui distinguerait cette ville par rapport aux autres capitales européennes. Chaque capitale „touristique” européenne a un trait qui la caractérise. Londres c'est la tradition, Paris – le romantisme, Madrid – le sang chaud, Vienne – du Mozart dans les toilettes publiques et les chocolats, mais seulement Varsovie est si grise et sans caractère. Je ne sais pas du tout à quoi associer cet endroit. Seulement à la couleur grise et à des HLM communistes. Et au club de foot Legia Varsovie, bien sûr. La ville se développe rapidement grâce à l'énorme soutien financier de l'Union européenne. De mois en mois, elle est plus belle et plus moderne et beaucoup de gens savent déjà où se trouve la Pologne sur la carte du monde. Nous pouvons être la prochaine destination touristique recherchée dans le monde grâce à ces circonstances favorables puisqu'on ne peut pas nier le potentiel de Varsovie. Mais pour cela il faut que la ville possède cette âme unique. Ce n'est pas grave si nous n'avons ni la Tour Eiffel ni la Place des Héros. Cependant, nous avons de nombreux sujets qu'on peut promouvoir et d'en faire un symbole de la ville connu dans le monde entier. Pour la promotion de la ville, nous pouvons, par exemple, nous servir de Chopin, faire de la capitale le centre d'art moderne ou bien dire au monde que Varsovie aspire au statut du centre européen de la science et des recherches en haute technologie puisque les mathématiques en Pologne sont un grand atout d'une classe mondaine.
Anthony "Lao gong" Chiu
Traduction: Agnieszka Zręda