Не было бы счастья, да несчастье помогло (« S'il n'y avait pas de malheur, il n'y aurait pas de bonheur ») selon le proverbe russe, « Le bonheur est dans le malheur » - reprend le proverbe polonais. En février 2008 j'ai accordé une interview à la chaîne polonaise Telewizja Puls à propos de la première en Russie du film « Katyn » d'Andrzej Wajda . J'ai dit à cette occasion que la projection serait plutôt discrète mais qu’il y aurait certainement des personnes intéressées. Deux ans se sont écoulés puis "Katyn" a déjà été retransmis à la télévision publique russe deux fois en deux semaines. On pourrait discuter sans fin des relations polono-russes. On peut parler des rapports politiques, culturels, interhumains. Mais c'est seulement après la catastrophe de Smolensk que les deux nations se sont comprises. Le 19 avril est paru le numéro russe de Newsweek qui titre "Fraternité de sang. Russie et Pologne - épreuve par Katyn" Sur la couverture figure un aigle polonais greffé à un aigle russe. Tous les articles sont pleins d'espoir, c'est le malheur qui doit aider à construire un avenir heureux. C'est la première fois – semble-t-il - que les presses russe et polonaise parlent d'une même voix.
Après la catastrophe, beaucoup de gens s'attendaient à une nouvelle montée en puissance dans la guerre politique entre Russie et Pologne, à ce que l'on s'accuse mutuellement des deux côtés. Peu après la tragédie, j'ai reçu quelques mails avec les condoléances de la part de mes amis de Moscou. Ils craignaient aussi de nouveaux regains de tension dans le conflit entre les deux pays. Une grande partie des Russes était sûre que les Polonais allaient les accuser, puisqu'ils savaient, selon ce qu’en disaient les médias, que les Polonais accusent toujours les Russes de tout. Pourquoi est-ce ainsi? Un Russe moyen ne sait sur la Pologne que ce qu'il trouve dans les manuels d'histoire ou que ce qu'il voit à la télévision. Pour parler simplement, il achète "une image toute prête" de la Pologne, image qui ne correspond pas toujours à la réalité. Mais heureusement, quelque chose de nouveau a eu lieu - les politiciens des deux pays ainsi que les commissions d'investigation on commencé à collaborer, les médias ont parlé d'une même voix et les gens on manifesté des sentiments sincères.
La télévision polonaise a montré les Russes qui, en pleurant, compatissaient avec les Polonais, portaient des fleurs sur le lieu de la tragédie ou sur le perron des consulats polonais. La télévision russe, quant à elle, juste après la tragédie, a diffusé le film "Katyn", alors même qu'elle l'avait déjà transmis quelques jours auparavant. Pour la première fois, on a invité l'ambassadeur de Pologne, Jerzy Bahr, à participer, à une heure de grande audience, au programme de Vladimir Pozner, sur la première chaîne de la télévision publique russe. Les Polonais ont pu ainsi voir le vrai visage des Russes et les Russes, pour la première fois, ont eu la possibilité de connaître le point de vue polonais.
L'édition polonaise du magazine Newsweek a publié une interview d’Henryk Samsonowicz, historien et ex-ministre de l'éducation en Pologne. Samsonowicz s’y disait impressionné par la réaction des Russes moyens et qu'il y voyait une opportunité de s'entendre. Il y rappelle que sans la culture russe l'Europe ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui. Il fait également remarquer que la Russie a beaucoup souffert du joug tataro-mongole et aux temps staliniens. Elena Czernienko présente, dans le même Newsweek, des comptes-rendus des rues de Varsovie, y parle de diverses opinions qui circulent en rapport avec l'enterrement de Kaczynski à Wawel. Les Russes ont du mal à comprendre: "Pourquoi êtes-vous contre cet enterrement? Chez nous, on n'en parle même pas" me suis-je entendu dire par des amis.
Newsweek mais aussi le magazine Vlast (Власть) ont fait leur couverture avec « Le lieu maudit » comme titre de dossier de leurs numéros, et l'hebdomadaire Ogoniok (Огонёк) s’est paré d’une photo des cierges déposés devant le Palais Présidentiel à Varsovie. Ogoniok a repris une citation de l'article d’Adam Michnik paru dans Gazeta Wyborcza - "Je vous remercie, Frères Russes, pour votre compassion, compréhension...." "Nous vous remercions à notre tour, Frères Polonais, de nous avoir entendus" – lui répond un auteur russe de Ogoniok. Le journaliste, Pawel Szeremet, dans l'article "La Pologne bouleversée" a énuméré les membres des familles de Katyn, morts dans la catastrophe. Il a écrit que les Polonais ne s'attendaient pas à cette réaction de la part des Russes. Pour moi, cette réaction va de soi, peut-être parce que je connais les Russes autrement que par le biais des programmes télévisés ou des livres. C'est ma nation et je suis sûre qu'ils réagiraient ainsi lors de tout événement aussi tragique et à une si grande échelle.
L'agence RIA Novosti a proposé à ses lecteurs, sur son site internet (www.rian.ru/poland/index.html), d'écrire une lettre à la Pologne avec des mots de condoléances. On y trouve déjà des milliers de lettres, non seulement de Russie mais également d'Ukraine, d'Arménie, du Kazakhstan, de Moldavie. J'en cite quelques extraits:
Wiktor de Moscou: "Je parlerai franchement: je n'aimais pas Kaczynski pour de multiples raisons..... Nous avons tous été battus à un moment ou à un autre. Les Polonais par les Russes, les Russes par les Polonais. Je n’ai jamais accepté cela, je ne comprenais pas ou je ne voulais pas comprendre. Et puis, soudain, la mort. Une mort cruelle. Et tout dans mon âme a chaviré... J'ai eu le sentiment d'avoir perdu non pas des amis mais une famille... En naviguant sur les sites internet polonais, j'ai vu comment leurs couleurs se réduisaient au noir et blanc.... Le temps s'écoulera. La vie reprendra son cours normal. Je veux de tout mon cœur que nos relations redeviennent vivantes, reprennent leurs couleurs. Pardonnons-nous tout et recommençons à nouveau. Courage à nous tous!"
Tatiana de Saint-Petersbourg écrit: "Nous avons considéré la tragédie polonaise comme la nôtre. Nous avons nos cousins en Pologne. Lorsque nous avons appris ce qui s'était passé, nous étions choqués. Nous guettions aux informations toute nouvelle qui concernait l'investigation. Nous avions peur qu'il y ait des reproches vis à vis de la Russie. Je suis sûre que notre pays a tout fait comme il fallait. Je crois que la tragédie permettra à nos deux nations de se rapprocher. Nous ne sommes tout de même pas des ennemis! Nous ne les avons jamais été. Et les médias doivent nous aider! Il faut surtout travailler avec les jeunes. Peut-être serait-il possible d'organiser en commun des missions d’étude en archéologie sur la guerre. Peut-être pourrions-nous organiser des gardes communes auprès des monuments aux morts de la deuxième guerre mondiale, des rencontres entre les anciens combattants".
Mais nous pouvons trouver, qui s'exprime sur ces sites, non seulement des Russes mais également des Polonais qui ressentent le besoin de formuler des remerciements.
"Merci aussi bien à la Fédération Russe qu'à tous ses citoyens. Je crois en la possibilité que nos deux nations se rapprochent et vivent, à l'avenir, liées par une amitié encore plus profonde", écrit Pawel de Gdansk.
Pawel, à l’est de la Pologne: "En tant que Polonais, je vous remercie pour vos lettres. Elles m'ont touché, et je ne suis pas une personne qui s'attendrit facilement. Je vous souhaite à tous beaucoup de santé."
Il est aussi important de noter qu'après la tragédie, il y a eu, dans la presse russe, beaucoup d'articles concernant la Pologne. Dans le numéro 15 de l'hebdomadaire Vlast (Власть), on a pu trouver trois articles: l'un sur la vie et sur la carrière politique de Lech Kaczynski, un autre sur la tragédie et le dernier sur le massacre de Katyn. Le sujet du crime de Katyn n'a jamais été autant discuté en Russie qu'après la tragédie de Smolensk. Même ceux qui s'intéressent peu à l'histoire ont à présent conscience de ce qui s’est passé il y a 70 ans. La presse russe rappelle qu'en 1990 Gorbatchev avait transmis à la Pologne une première partie des documents concernant le crime de Katyn et que Boris Eltsine s'était excusé pour le massacre des Polonais. A présent il est temps de mettre les points sur les i dans cette affaire. "Est-ce que l'attitude des Polonais par rapport à ta personne a changé après ces derniers événements?" – m’a demandé une journaliste de la télévision ukrainienne. Je suis sûre que les Polonais aussi bien que les Russes savent faire la distinction entre le pouvoir et la politique de l'Etat, d’une part, et la nation, d’autre part. Quelques mauvaises que soient les relations entre la Pologne et la Russie, je n'ai jamais été victime de reproches à mon égard, je n'ai jamais été discriminée en Pologne sur le fond national. Aujourd'hui, de plus en plus de Polonais comprennent enfin que les Russes et le pouvoir ou la politique russe sont deux choses à part.
L'évaluation des actions du côté russe est incontestablement positive, aussi bien dans les médias polonais que russes. Mais ce qui importe le plus c'est que nous - les Russes, nous savons compatir sincèrement avec les Polonais. Que nous pouvons écrire de sincères "Lettres à la Pologne" et vous, nous répondre à cela "spasiba" et allumer "une petite lumière pour les Russes" dans le cadre d'une action qui n'aurait jamais eu lieu avant la catastrophe.
Le 9 mai 2010, au cimetière militaire soviétique de Varsovie, j'ai rencontré des anciens combattants polonais et des membres du club historique..... J'étais venue après les cérémonies funéraires et j'ai vu quelques personnalités polonaises qui étaient là dans le but de rendre hommage aux soldats soviétiques, et cela après que les caméras aient été éteintes. Mes deux grand-pères, tous les deux, combattaient durant la guerre et y ont survécu. L'une de mes grands-mères fut déportée en Allemagne pour les travaux forcés. L'autre, encore petite fille, travaillait pourtant, afin d'aider à la construction de la victoire et lorsqu’elle advint, pour ma famille, ce fut la fête la plus importante. Nous nous réunissions à table, le grand-père revêtait ses médailles et racontait, et nous, nous chantions des chants d'aviateurs (grand-père était aviateur). Nous n'avons jamais parlé de Staline à la maison, ou des autres dirigeants de l'Armée Rouge. Nous avons toujours parlé de soldats ordinaires, de vainqueurs, de collègues de mes grand-pères. Les habitants de Varsovie, venus le 9 mai au cimetière de Zwirki, allaient et venaient d'une tombe à l'autre en lisant les noms des morts, en allumant des cierges. Les tombes les plus fleuries et sur lesquelles étaient déposés le plus de veilleuses étaient les tombes des soldats inconnus. Les Polonais purent imaginer les soldats pris dans une vraie guerre - affamés, fatigués, combattant pour la victoire des pères, des grand-pères, des oncles, des fils, et non plus seulement une Armée Rouge manipulée par Staline. C'est, à mon avis, un tournant dans les relations polono-russes.
"J'ai toujours voulu visiter la Pologne. Maintenant, je vais le faire" - écrit l'un des internautes.
Texte: Maria Strelbicka
Traduction: Sadia Robein