Il y a bien longtemps j'ai réalisé que le thé est une boisson très importante dans la vie quotidienne des Polonais qui ont une pratique distinct de le boire. En ce moment il est difficile pour moi de décider si cette habitude fait partie d’une culture différente du thé ou si elle est preuve de l’ignorance, car d’un côté elle est spécifique et de l’autre elle prouve que le savoir sur le thé est très pauvre. Le savoir authentique a été transformé par le peuple en rumeur qui, filtrée, n’est devenue par la suite que les restes de savoir mélangées avec des expériences personnelles. C’est pourquoi on a vu émerger en Pologne une aute culture du thé. Je parle de la culture qui découle de l’ignorance, car en Pologne l’accès au savoir sur le thé est particulièrement restreint. On peut remarquer que deux écoles dominent en Europe : anglaises et chinoises. L’école anglaise est la plus connue. Les deux écoles sont basées sur leurs propres vocabulaire et classification de thé ce qui induit le dégustateur débutant en erreur, alors que l'objectif principal est de bien diffuser le savoir. En Pologne on boit du thé de la même manière que dans d’autres pays européens, mais le problème est qu’il n’y a pas de savoir concret sur le thé en tan que tel, on ne sait pas comment le déguster et l’admirer, comment qualifier sa qualité, etc. Une telle ignorance a fait naître une pratique polonaise de boire le thé. Elle est résultat des essais et des erreurs personnels, ainsi que de l’influence de l’école anglaise avec des éléments de la tradition russe.
Moi, je préfère le thé au café et je suis très content quand, lors d’une visite, on me pose la question : « Est-ce que tu veux du thé ? ». Je voulais toujours savoir comment les Polonais ont fait pour s’accoutumer à offrir aux invités le thé au lieu du café. Dans la culture chinoise il y a une tradition de servir le thé pour montrer le respect, mais je doute que cette habitude vienne aussi loin – jusqu’en Pologne ! Il s’avère qu’elle s’est répandue durant l’époque du communisme. Il y a longtemps la haute société russe savourait le thé beaucoup avant des Portugais, des Hollandais et des Anglais. En Russie le thé est toujours une des boissons sans alcool les plus consommées. C’est par l’intermédiaire du voisin russe qu’au cours du siècle précédent cette façon de saluer les invités est arrivée en Pologne. On doit encore mentionner la coutume de sucrer le thé, de boire le thé aromatisé aux fleurs ou aux fruits. Il est donc bien fondé de parler de la culture distincte du thé.
Les amateurs plus exigeants délaissent le thé en sachet et recherchent des produits plus sophistiqués dans des boutiques de thé. C’est en ce moment qu’apparaît la question : Que cherche-t-on exactement ? Les clients demandent souvent aux vendeurs d’unue manière vague : « je veux un bon thé », ou « je veux un thé vert », alors qu’il faut donner des informations plus précises : le thé, doit-il avoir le goût sucré, fade, intense, doit-il être cher, bon marché, vert, rouge ou noir ? Si on ne sait pas exactement ce qu’on cherche, on peut être confondus par les centaines de noms étranges, faire un achat erroné et par la suite perdre l’envie de boire le thé. Heureusement, le thé en Pologne est si bon marché qu’on peut acheter un peu de tout et essayer de trouver le produit qui nous convient le plus.
Pourtant, il faut attirer l’attention sur le fait que la qualité du thé dépend de son prix. Dans les boutiques en Pologne on peut acheter 50g du thé le moins cher pour seulement 5 zł. Un tel produit convient pour un dégustateur débutant qui cherche encore son goût favori, mais à long terme, une fois nos récepteurs gustatifs formés,le thé d’une telle qualité ne nous satisfait plus.
Le thé disponible sur le marché est au-dessous de toute catégorisation et les vendeurs ignorent ce qu’ils vendent. Il est fréquent que, n’ayant pas assez de savoir sur le produit vendu, ils essaient de convaincre le client de sa plus haute qualité. Dans des boutiques à Varsovie je demande souvent du thé classique, i.e. sans arômes. Pourtant, après avoir ouvert la boîte, je sens toujours le citron. Le vendeur feint l’étonnement et conteste les faits. C’est comme si on donnait à un médecin de Pakistan le tout nouveau équipement médical américain sans le manuel traduit – il comprend quelque chose, il ne comprend pas d’autre chose, le reste c’est de l’expérimentation pure et simple.
Je visite différents salons de thé à Varsovie, car j’aime bien le thé et je veux connaître le marché polonais. Hélas, je n’en a trouvé aucun qui satisfasse mes exigences à part un seul où on m’a servi du thé népalais. J’avoue avoir oublié le nom de ce thé, mais je suis convaincu que ce salon est géré par des professionnels. Il s’avère qu’en Pologne il y a quand même quelques connaisseurs de thé.
Outre les thés classiques, on rencontre souvent les thés aromatisés aux fleurs ou aux fruits, ainsi que les cocktails au thé. Je ne trouve rien d’incongru dans cette pratique – on mélange le vin ou le café avec des saveurs différents aussi, il y a même du Coca-cola à la vanille ou à la cerise (quant à moi, je ne commande jamais ce type de combinaisons). Par contre, ça m’énerve d’ajouter automatiquement du sucre dans le thé, comme si le thé sans sucre avait un mauvais goût. Je m’y toujours opposais jusqu’au jour où, involontairement, j’ai bu du Dilmah Gold – à ce moment-là j’ai compris pourquoi les Polonais mettent du sucre dans le thé!
En fait, le thé accessible sur le marché polonais n’a pas de goût en soi, donc j’accepte d’ajouter du sucre dans le thé de « n’importe quel » qualité. Les feuilles de bonne qualité dans les étapes finales de production ont une odeur intense exceptionnelle. Dans ce cas le sucre blanc ou tout autre produit additionnel gâte son arôme et sa douceur naturelle. Beaucoup de restaurateurs chinois en Pologne se découragent de proposer le thé sans sucre aux Polonais qui insistent à sucrer cette boisson. Pour cette raison ils ne sont pas intéressés à servir du thé de meilleure qualité, puisque les clients le gâtent avec le sucre.
Il est possible de boire le thé sans sucre ce que confirment mes nombreux amis à qui j’ai servi du vrai thé chinois. Ils sont surpris que le thé apporté de la Chine soit si bon et aromatique, ils hochent la tête avec étonnement et me demandent : « Est-ce vraiment du thé ? ». Le secret repose dans la qualité des feuilles et dans leur préparation. Le thé est amer quand il est mal préparé ou quand il est de mauvaise qualité. J’ai souvent vu que les gens laissent les feuilles trop longtemps dans l’eau et par la suite obtiennent une infusion très amère. C’est une erreur ! Il faut respecter strictement le temps d’infusion qui dépend du type de thé, de la quantité des feuilles, de la capacité du récipient et de la température de l’eau. Après ce temps il faut immédiatement séparer les feuilles de la boisson pour ne pas l’infuser trop.
Je raconterais encore une histoire sur la mauvaise préparation du thé. Peu de gens savent que certaines feuilles sont très aromatiques et peuvent être infusées plusieurs fois. Un jour à l’université j’ai offert à une amie du thé en tasse en plastique (que les puristes me le pardonnent !). Le contenu de la tasse valait plus de 100 zl. Elle a bu la première infusion et ensuite a fait un mouvement délicat de la main pour jeter la tasse à la poubelle. Mon cœur saignait...
Il faut du temps pour que la culture du thé s’implante en Pologne. Personnellement, je supporte l’école chinoise du thé qui répondrait aux besoins des Polonais. C’est une philosophie qui repose sur l’amitié, la paix, le silence et l’harmonie. Le rôle du thé dans la culture chinoise est d’initier et de renforcer les amitiés, d’établir des liens commerciaux et parfois il fait pousser l’alcool au second plan. La dégustation du thé exige de l’ambiance sereine de sorte qu’après chaque cérémonie on se sent détendus, mais aussi stimulés et pleins de nouvelles idées. Dans nos temps marqués par le stress, c'est la meilleure façon de se détendre à la table familiale, de passer le temps avec des amis dans la ville ou de faire des négociations commerciales.
Anthony Chiu
Traduction: Ewa Słotwińska